Yémen : qui est Abdul-Malik al-Houthi, le chef insaisissable du groupe rebelle qui attaque les navires en mer Rouge ?
"Nous n'hésiterons pas à répondre à l'agression américaine." Dans sa dernière allocution, le chef du groupe rebelle yéménite, Abdul-Malik al-Houthi, menace directement les Etats-Unis. Le dirigeant du mouvement politique armé Ansar Allah ("Partisans de Dieu"), qui contrôle en partie le Yémen, est à l'offensive. Depuis l'automne, ses combattants multiplient les attaques contre des navires marchands en mer Rouge, en réponse à l'intervention militaire d'Israël dans la bande de Gaza. Ces faits d'armes spectaculaires exposent Abdul-Malik al-Houthi et ses hommes à des frappes américano-britanniques – l'armée américaine en a mené dans la nuit du mercredi 17 au jeudi 18 janvier –, mais assurent aussi une vitrine internationale au chef houthi, dont la biographie reste en grande partie inconnue.
Chaque vendredi, le nom d'Abdul-Malik al-Houthi est scandé par ses partisans, lors des manifestations organisées dans la capitale, Sanaa. Pourtant, ils ne l'y verront jamais en chair et en os. Car depuis des années, le leader suprême houthi s'exprime uniquement dans des vidéos enregistrées, parfois retransmises sur des écrans géants installés dans l'espace public. Durant ces allocutions, longues de 30 à 90 minutes, il porte un keffieh yéménite et une bague sertie d'une pierre rouge, à l'annulaire de la main droite. Une imposante jambiya, le traditionnel poignard recourbé, repose sur sa poitrine. La richesse des décorations de sa poignée traduit le rang de ce descendant revendiqué du prophète – une filiation qui lui vaut le titre honorifique de "sayyed".
Si Abdul-Malik al-Houthi "apparaît par écran interposé pour faire des déclarations importantes", "il n'est pas visible lors des réunions gouvernementales" non plus, relève Franck Mermier, anthropologue et directeur de recherche au CNRS. Les membres de la famille al-Houthi – car il s'agit bien d'une famille – y occupent tous les postes importants, aux côtés de proches et de fidèles.
Le porte-parole des rebelles houthis, Mohammed Abdel Salam, participe notamment aux négociations avec les Omanais et les Saoudiens, et intervient sur la chaîne Al-Jazeera. Yahya Saree, le porte-parole militaire, relaie les dernières attaques de navires. Et dans chaque ministère ou organisme gouvernemental, "un superviseur nommé par les houthis, connu sous le nom de 'mushrif', a le dernier mot sur les décisions", décrivent deux chercheurs.
Une "autorité religieuse, politique et militaire"
Abdul-Malik al-Houthi, lui, est au sommet de cette nébuleuse administrative. "L'autorité religieuse, politique et militaire est fusionnée dans sa personne, un peu comme avec la figure du guide suprême en Iran", occupée par l'ayatollah Ali Khamenei, explique Thomas Juneau, chercheur à l'université d'Ottawa (Canada). Il est ainsi qualifié de "leader de la révolution" par l'agence de presse yéménite Saba, affiliée aux houthis, même si ce leader "n'a pas de véritable fonction officielle, souligne Franck Mermier. Ses opposants l'accusent d'ailleurs de vouloir rétablir un imamat au Yémen, même s'il ne s'est jamais déclaré imam".
"Abdul-Malik al-Houthi vient de la clandestinité. Ce n'est pas un intellectuel qui a élaboré une doctrine."
Franck Mermier, anthropologue et chercheur au CNRSà franceinfo
Les intonations et les gestes d'Abdul-Malik al-Houthi ont également été comparés à ceux de Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah libanais, autre groupe armé allié de l'Iran. Mais "beaucoup de ses opposants se moquent de ses interventions, souligne également Franck Mermier. Alors que Hassan Nasrallah s'exprime de manière claire et éloquente, Abdul-Malik al-Houthi est moins charismatique, avec un style plus rugueux".
Inspiré par le Hezbollah et l'Iran
"Les houthis ont ouvert un bureau à Beyrouth, il y a plusieurs années, et leurs médias ont notamment emprunté des méthodes à ceux du Hezbollah", explique Thomas Juneau. En témoigne la vidéo diffusée après la saisie d'un navire en mer Rouge, rythmée par une musique militaire. Les apparitions du leader sont codifiées pour exprimer son rôle religieux et politique. Avec, à gauche de l'image, un verset du Coran et à droite, le célèbre slogan du groupe, cinq lignes, inscrites en vert et rouge : "Allah est le plus grand, mort à l'Amérique, mort à Israël, malédiction sur les juifs, victoire pour l'Islam".
Au-delà de cet antisémitisme affiché, ce leader agite également des théories complotistes. Abdul-Malik al-Houthi a déjà accusé Washington d'avoir propagé le sida dans le pays ou d'avoir encouragé le port du pantalon pour compliquer le port du poignard. Entre autres. "Cette approche sur une emprise occidentale et un complot juif remonte à la doctrine de son frère Hussein, qui avait été enregistrée sur des cassettes et retranscrite sur des carnets", explique Franck Mermier. Cette doctrine est encore en vigueur aujourd'hui.
L'héritier d'une doctrine forgée par son frère
Après la révolution iranienne de 1979, comme de nombreux houthis, Abdul-Malik et son aîné sont partis à Qom, capitale religieuse de l'Iran, pour étudier l'islam chiite. Durant ce séjour, ils ont sans doute été influencés par l'idéologie anti-occidentale de l'Iran et par la renaissance de l'autorité chiite, explique le chercheur Thomas Juneau, même "s'il est difficile de connaître les conséquences de ces échanges sur l'évolution du mouvement". Sans compter les différences de fond religieuses, entre le chiisme zaydite des houthis et le chiisme duodécimain en Iran.
Quelques années plus tard, Hussein al-Houthi se lance en politique au Yémen et devient au milieu des années 1990 député du parti zaydiste, une formation hostile au président yéménite Ali Abdallah Saleh. Il lance les premiers jalons du mouvement houthi en élaborant les bases d'une doctrine politico-religieuse d'inspiration nationaliste, toujours en vigueur aujourd'hui. "La réaction du gouvernement a été violente et répressive, alors que les houthis s'armaient de plus en plus", poursuit Thomas Juneau. Quand Hussein est tué, en 2004, une insurrection éclate à Saada, dans le nord du pays.
Leur père Badreddine al-Houthi meurt en septembre 2004, après un court intérim. Abdul-Malik reprend le flambeau en 2005. Le jeune leader ajoute progressivement de nouveaux thèmes au corpus de son aîné, comme la lutte contre la corruption et la pauvreté. En octobre 2023, il s'est ainsi exprimé (toujours en vidéo) lors d'un mariage de masse, devant 10 000 fiancés démunis n'ayant d'autre recours pour sceller leur union.
Un chef de guerre à l'offensive depuis vingt ans
A tête des houthis, Abdul-Malik chasse d'abord les salafistes sunnites de sa région de Saada, dans le nord-ouest du Yémen. Puis en 2011, il envoie ses partisans dans la capitale, Sanaa, afin de grossir les rangs des manifestations antigouvernementales qui conduiront au départ du président Ali Abdallah Saleh. En 2014, il noue cependant une alliance improbable avec l'ancien dirigeant, qui dispose encore de puissants relais dans l'armée. La colère des deux hommes est cette fois dirigée contre le président Abdrabbo Mansour Hadi, qui perd le pouvoir.
Depuis lors, les houthis contrôlent Sanaa. La coalition internationale, mise en place l'année suivante par l'Arabie saoudite, n'est jamais parvenue à inverser la tendance. Quant à Ali Abdallah Saleh, il est définitivement supprimé par les houthis en 2017. Un événement qualifié de "jour historique" par Abdul-Malik al-Houthi.
En position de force, le mouvement houthi "prétend représenter la vraie version du Yémen, à la fois au niveau religieux et des mœurs", explique Franck Mermier. La musique a été interdite lors des cérémonies de mariage, et la ségrégation sexuelle des femmes a été accrue, avec une milice féminine pour les contrôler. Après une interminable guerre civile qui a fait des dizaines de milliers de morts et laissé des millions de personnes affamées, la formation militaire, aujourd'hui, ne ressemble plus guère aux groupes de combattants des montagnes du Nord-Ouest.
Les rebelles ont attiré des milliers de combattants et constitué un arsenal militaire important, avec notamment des drones, des missiles et des pièces détachées iraniennes. Pour autant, il serait trompeur de considérer le nationaliste Abdul-Malik al-Houthi comme une simple marionnette de Téhéran. "L'Iran ne lui donne pas d'ordres, estime le chercheur, mais a simplement des intérêts alignés avec ceux des houthis, et n'a pas d'objection à ces attaques contre ces navires".
Une certaine "euphorie" du pouvoir
Ces dernières années, Abdul-Malik al-Houthi a été donné mort à plusieurs reprises, et les divisions restent profondes dans le pays dévasté. Pour autant, ajoute Franck Mermier, "beaucoup de Yéménites, même s'ils sont opposés aux houthis, soutiennent les opérations en mer Rouge en défense de la cause palestinienne". Ce qui accroît la "légitimité" des rebelles.
Alors que ses actions étaient jusque-là cantonnées au territoire yéménite, les attaques de navires en mer Rouge portent la marque d'un dirigeant sûr de lui. Elles ont poussé les Etats-Unis à réinscrire, mercredi, le mouvement sur leur liste des organisations terroristes. La branche politique Ansar Allah avait été brièvement ajoutée au registre sous l'administration Trump, en 2021, avant d'en être retirée peu après, à l'arrivée de Joe Biden au pouvoir. Visé par une interdiction de voyager, prononcée par les Nations unies, Abdul-Malik al-Houthi règne aujourd'hui avec une certaine "euphorie" au sein du mouvement, qui a remporté la guerre civile et "a vaincu l'Arabie saoudite", analyse Thomas Juneau. Les houthis se perçoivent comme intouchables, ce qui pousse le mouvement à se montrer ferme et ambitieux."
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