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Yémen: l'Américain qui a formé les frères Kouachi au djihad

Avant son élimination par un drone US en 2011, Anwar al-Awlaki, citoyen américain d'origine yéménite, imam passé au djihad en 2004, aurait formé les auteurs de la tuerie à Charlie Hebdo, les frères Kouachi, au sein d'Al Qaïda au Yémen. Ses cours pratiques continuent d'être très suivis via des vidéos sur Internet.
Article rédigé par Véronique le Jeune
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le prédicateur terroriste d'Al Qaïda au Yémen, Anwar al-Awlaki, tué en 2011, est toujours très influent auprès des djihadistes via des vidéos dont cette image est extraite. (SITE INTELLIGENCE GROUP / AFP)

La Syrie n’est pas le seul centre de formation des combattants islamistes. En pleine lumière avec l’expansion de Daech, elle avait éclipsé le potentiel terroriste du Yémen, à l’autre bout de la péninsule arabique, en proie au chaos politique depuis des mois. C’est pourtant là que la branche locale d’Al Qaïda, AQPA (Al Qaïda dans la Péninsule arabique) aurait reçu et formé les frères Kouachi dès 2009 et a depuis revendiqué le carnage à Charlie Hebdo.

Le plus jeune des frères, Chérif, l’a lui-même lancé à un témoin le 7 janvier 2015, peu après les assassinats : «Dites aux médias que c’est Al Qaïda au Yémen». Quelques heures plus tard, dans son interview surréaliste à BFM-TV réalisée alors qu’il était retranché à Dammartin-en-Goële, il a donné le nom de son mentor là-bas : Anwar al-Awlaki.

Moins connu que Ben Laden, ce terroriste, tué par un drone américain en septembre 2011, était une pointure d’Al Qaïda. A l’époque, les services de renseignement le considéraient comme le propagandiste le plus efficace, le plus redoutable de l’organisation. Et il demeure aujourd’hui un guide suprême pour bon nombre d’actuels ou de futurs djihadistes. Son nom apparaît d’ailleurs dans beaucoup d’affaires, comme l’attaque ratée contre un avion américain entre Amsterdam et Détroit en 2009 ou l’attentat perpétré par les frères Tsarnaev au marathon de Boston en 2013.

Les frères Tsarnaev dans les rues de Boston en 2013 avant qu'ils ne fassent sauter leurs bombes. Eux aussi suivaient les préceptes d'al-Awlaki. (REUTERS/FBI/Handout)

Le prédicateur salafiste n’était pas un adepte des longs prêches abstraits. Il distillait ses cours sur le maniement des armes et des explosifs dans un langage accessible, le cas échéant en anglais, lorsque les apprentis djihadistes ne parlaient pas l’arabe. Quatre ans après son élimination, beaucoup de jeunes pousses du terrorisme international continuent de boire ses discours et de suivre ses conseils sur Internet. La teneur en est toujours la même : passer à l’action violente contre l’Occident.

al-Awlaki reçu au Pentagone et au Capitole 
Si ce prédicateur séduit autant les jeunes, c’est aussi à cause de son parcours atypique. Citoyen américain né en 1971 à Las Cruces au Nouveau-Mexique d’un père yéménite, étudiant brillant, et d’une mère américaine, il suit sa famille au Yémen à l’âge de 7 ans et revient aux États-Unis douze ans plus tard pour suivre des études d’ingénieur à la State University du Colorado. C’est là qu’il se découvre un goût pour les textes religieux et un don pour le discours. A 25 ans, il devient un imam respecté et écouté. Pendant huit ans, dans les mosquées de San Diego, Denver, Washington, ses prêches font un tabac. Il est même invité au Capitole et au Pentagone pour donner des conférences !   

Après les attentats du 11-Septembre, il distille régulièrement dans les médias ses éclairages sur les préceptes de l’islam. Le F.B.I s’intéresse brièvement à lui lorsque ses agents découvrent que trois des pirates de l’air du World Trade Center ont fréquenté sa mosquée, mais son implication n’est pas prouvée. En 2002, al-Awlaki s’installe à Londres, où sa popularité grandit très vite. Ses discours contre les États-Unis se radicalisent et attirent de plus en plus de militants. Arrivé au Yémen en 2004, le prédicateur bascule définitivement dans le djihad. La guerre est lancée contre son pays natal, les «croisés antimusulmans» et contre toute une série d’objectifs désignés comme ennemis de l’islam. Sur cette liste, qui ne cesse de s’allonger, se trouvent les «caricaturistes qui ont insulté le prophète Mahomet».

Le Yémen, au sud de la Péninsule arabique, abrite de nombreux combattants d'Al Qaïda recrutés dans le monde entier. (FTV/Google)

En 2009, Anwar al-Awlaki devient la figure emblématique d’AQPA, née de la fusion des organisations saoudienne et yéménite d’Al Qaïda. Pour asseoir son aura et susciter des vocations partout dans le monde, il lance Inspire, un magazine en anglais sur le web. «Un journal dans un style très branché américain qui indique comment fabriquer une bombe dans la cuisine de sa maman, détaille Romain Caillet, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient. C’est une sorte de lien entre le monde du web, de YouTube et les idéologies de l’islamisme djihadiste».

Petites équipes mais retentissement médiatique maximal
Les ordres de mission n’y ont pas l’ampleur d’un 11-Septembre : ils requièrent plutôt de petites équipes de une ou deux personnes et quelques armes. Mais ils sont choisis pour obtenir un retentissement maximal, et prennent, entre autre, la France pour cible. Charb, le directeur de la rédaction de Charlie Hebdo y était nommément inscrit comme un homme à abattre pour «venger l’islam»… Aujourd’hui, son portrait est barré d’une croix rouge.

Une semaine après les faits, Al Qaïda au Yémen a officiellement revendiqué le massacre perpétré dans les locaux de l’hebdomadaire satirique. Une manière de damer le pion à Daech, son rival en Syrie et en Irak. Une réponse aussi aux attaques des drones américains qui frappent régulièrement l’organisation dans les sables du Yémen. Dans ce pays, l’un des plus pauvres de la planète, déchiré par les rivalités politiques, la persistance des tribus et les tensions confessionnelles, AQPA conforte sa puissance idéologique et territoriale notamment dans les régions désertiques de l’est comme l’Hadramaout. Son leader, Nasser al-Wuhayshi, a d’ailleurs déclaré vouloir y créer un «émirat».


L'État du Yémen impuissant
Le président yéménite s’est déclaré solidaire de la France à l'issue des attentats de Paris, en regrettant que son pays soit lui aussi victime du terrorisme (150 attaques fin 2014). Arrivé au pouvoir en 2012, après le départ du très contesté Ali Abdallah Saleh, emporté par le Printemps arabe, Abd Rabbo Mansour Hadi n’a réussi à installer aucune autorité. Pire, les prérogatives de l’État sont en train de fondre comme neige au soleil, attaquées par les tribus chiites houthistes descendues de leur fief du nord pour, disent-elles, «chasser la corruption qui ronge le pays». Elles se sont emparées de la capitale Sanaa le 21 septembre 2014 sans rencontrer de résistance de l’armée.

Les miliciens houthistes sont également engagés depuis octobre dans de violents affrontements contre AQPA dans la province d’Al-Bayda, à 200 kilomètres au sud de Sanaa. En d’autres temps, cette situation aurait provoqué l’intervention de l’Arabie saoudite, le voisin sunnite qui en 2009 déjà avait bombardé les positions houthistes. Aujourd’hui, Riyad ne bouge pas. Sans doute les autorités saoudiennes trouvent-elles un intérêt à cette sous-traitance involontaire dans le combat contre les terroristes de l’Aqpa ? Les ennemis de mes ennemis sont mes amis… 

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