Au nord de l'Irak, de jeunes garçons racontent comment l'Etat islamique tente de les dresser à tuer
En Irak, de jeunes garçons sont enrôlés de force par des jihadistes. Quand ils parviennent à s'enfuir, certains "lionceaux du califat", comme les appelle le groupe Etat islamique, livrent un témoignage effrayant sur l'endoctrinement et les violences qu'ils ont subis.
En Irak ou en Syrie, de jeunes garçons sont entraînés par le groupe État islamique pour devenir de futurs jihadistes. Ceux qui se sont échappés tentent de se reconstruire avec l'aide d'associations humanitaires.
Au camp irakien de Darkar, près de Zakho, à la frontière avec la Turquie, Mirna, psychologue de l’ONG française EliseCare, a reconstitué un cabinet professionnel. Assis face à elle, un feutre à la main, Saher, dessine une maison, "avec quatre chambres". Le garçon tente ainsi d'évacuer des souvenirs douloureux. À six ans, le jeune Yézidi de Sinjar est devenu, avec sa mère, ses frères et sœurs, l'esclave d'un jihadiste, Abou Mouhamar. Il les a emmenés en Syrie, à Deir Ezzor, sur les rives de l'Euphrate.
La psychologue lui demande s'il était frappé. L'enfant acquiesce et raconte "les coups sur la tête" de la main de cet homme qui avait "une grosse bague". Le garçon fixe ses chaussures, hésite, et tout à coup, les mots se bousculent.
Il me frappait beaucoup, tous les jours. Il nous obligeait à lire le Coran. Il frappait ma mère aussi. Une fois, il a même cassé le bras de ma sœur Aziza. Elle est encore chez lui à Raqqa
Saher, enlevé par un jihadiste à six ansà franceinfo
Saher représente ses proches sur une feuille. Aziza est dessinée en noir, les autres en rouge. La petite fille n'a pas pu fuir avec le reste de sa famille. A présent, elle a 12 ans. Sa famille souhaite partir au Canada. Sans Aziza, elle n'a toujours pas franchi le pas.
Des garçons comme Saher, la psychologue en voit tous les jours au camp de Darkar. Mirna explique qu'il y a des enfants choqués, qui ne réussissent pas à parler.
C’est à nous de les amener à s'exprimer. Il y en a d’autres au contraire qui ont l’air d’aller bien, mais nous savons que ce n'est pas le cas. Ces enfants sont souvent victimes de chocs post-traumatiques.
Mirna, psychologue de l'ONG EliseCareà franceinfo
Les symptômes des suites de ces chocs sont multiples. Les enfants font des cauchemars la nuit et souffrent d'incontinence. Ils peuvent être violents avec leur entourage. Il y a aussi des cas de schizophrénie. Le grand frère de Saher, Assi, éprouve lui aussi la nécessité de parler. Après l'enlèvement, à 14 ans, il a été séparé de sa famille pour être embrigadé par le groupe État islamique. Il subit alors six mois d'apprentissage théorique puis d'entraînement militaire, avant d'être adoubé jihadiste. L'adolescent suit ces cours avec des centaines d’autres jeunes gens dans le nord de la Syrie. Assi se souvient de son programme quotidien à une cadence infernale.
On se réveille tous les jours à 5h et on lit le Coran. Ensuite, on doit apprendre une sourate par cœur et la réciter au moment de la prière. Et il y a la leçon de doctrine avant le petit-déjeuner.
Assi, un ado enrôlé par les jihadistesà franceinfo
L'entraînement dure jusqu’au soir. La moindre faute vaut à l'apprenti de Daech des coups de bâton et de tuyau.
Six mois après sa libération, le dos de l'adolescent porte encore les marques de cette violence. "Ils ne parlent que du jihad, des combats, de la guerre et te poussent à oublier ta famille", raconte Assi. "Tu passes ta journée dans la guerre, il n’y a pas de vie là-bas. Si tu restes avec eux, tu deviens un mort vivant", ajoute-t-il.
Pour convaincre "ces lionceaux du califat" à sacrifier leur vie à leur cause, les jihadistes opèrent un lavage de cerveau quotidien. "Ils nous disaient que le jihad c’est pour Allah. 'Vous les jeunes, allez dans l’autre vie, vous trouverez votre bonheur. Vous n’êtes pas mariés. Là-bas, 72 vierges vous attendent"", rapporte Assi. Juste après ce discours, "quinze jeunes se portaient volontaires".
Les exercices militaires du groupe terroriste sont très éprouvants et diffèrent selon les zones géographiques. À l'âge de dix ans, Adel a été forcé de suivre des entraînements très violents à Tall Afar, à l’ouest de Mossoul. Le garçon, âgé de 13 ans, est réfugié au camp d’Essyan, près de Dohuk. Il est recroquevillé sur un matelas. Le regard ailleurs et les mains crispés, il évoque les violences et la mort. "On s’entraînait aux techniques militaires, comment attaquer, se cacher, s’allonger par terre, utiliser une Kalachnikov, arrêter l’ennemi comme si c’étaient des peshmergas", détaille Adel.
Les "lionceaux" ne venaient pas tous à bout des exercices. Pour ceux-là, c'était l'exécution.
Ils les tuaient, comme Kassim. Ils les emmenaient à l’écart ou les abattaient sous nos yeux d’une balle dans la tête. J'en ai vu une dizaine.
Adel, embrigadé par l'Etat islamique à 10 ans
Adel devait aussi regarder des vidéos en boucle, pour voir "comment ils tuaient les Yezidis et les non Yezidis". Les jihadistes leur donnaient aussi l'ordre de s'entraîner comme eux, "pour combattre les peshmergas et les décapiter". Il arrivait que des prisonniers yezidis soient mis à disposition du camp d'entraînement. Adel précise qu'il n'a jamais été tiré au sort, mais que certains de ses copains ont été désignés comme bourreaux. "Ils ont abattu des prisonniers d’un coup de pistolet ou de Kalachnikov", témoigne le garçon.
Aujourd'hui, Adel va mal. Il fait des cauchemars et se nourrit difficilement. Il a peur, confie son père, désemparé devant l'état de son fils qui empire. Depuis qu’il s’est enfui de cet enfer, il y a un an, le garçon n’a pas vu un seul psychologue. Très peu de camps d'accueil sont en mesure de proposer ces soins. L'Irak est aujourd'hui trop accaparé par sa reconstruction pour panser les plaies d’une génération qui semble perdue.
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