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Reportage "Nous renaîtrons de nos cendres" : à Shefayim, les familles évacuées du kibboutz de Kfar Aza célèbrent Hanoukka pour "chasser l'ombre" du massacre

Deux mois après l'attaque du Hamas qui a fait 62 morts dans ce kibboutz près de Gaza, les rescapés se sont rassemblés à l'occasion de la fête de la lumière juive. Mais l'espoir d'un retour reste fragile.
Article rédigé par Robin Prudent - envoyé spécial à Shefayim (Israël)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Ilanit Suissa, à Shefayim (Israël), le 7 octobre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Tout à coup, la lumière s'éteint. L'amphithéâtre de Shefayim, localité située au nord de Tel-Aviv, retient son souffle. Une porte claque et des dizaines d'enfants jaillissent dans la salle en chantant et en agitant des bracelets lumineux jusqu'à la scène. Au-dessus d'eux, se dresse une hanoukkia, le chandelier traditionnel juif à neuf branches, avec deux bougies allumées. Dans les gradins, des dizaines de familles évacuées du kibboutz de Kfar Aza, où 62 personnes ont été tuées par des terroristes du Hamas, sont venues célébrer, jeudi 7 décembre, le premier jour de la fête juive de Hanoukka.

"Il y a des familles pour lesquelles il n'y aura pas de lumière aujourd'hui", souffle Yossi Biton, un ancien habitant de ce village agricole collectiviste situé à trois kilomètres de la bande de Gaza. "Le 7 octobre, nous sommes restés 22 heures dans notre abri", se remémore-t-il aux côtés de sa femme et de son fils. "L'armée est venue nous chercher en pleine nuit. Nous étions encore en pyjama. Ils nous ont mis dans un bus et ils nous ont évacués." Comme la plupart de ses voisins de la communauté, ce chef pizzaïolo a atterri ici, dans un autre kibboutz, celui de Shefayim, aux allures de village de vacances en bord de mer.

Des enfants fêtent Hanoukka à Shefayim (Israël), le 7 octobre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Malgré la verdure et les jeux pour enfants, l'ambiance est lourde. "Nous avons une seule pièce pour toute la famille", explique Yossi Biton. La nourriture du self ne vaut pas non plus les spécialités maison du chef qu'il fait défiler sur son téléphone portable. "Ce n'est pas une vie normale ici", marmonne le quadragénaire. "Les enfants ne peuvent pas aller à l'école, nous avons pu récupérer seulement quelques vêtements après un mois d'attente..."

"Nous sommes devenus un seul et même kibboutz"

Dans les gradins de l'amphithéâtre, les animations des enfants ont réveillé des sourires enfouis depuis longtemps. "Nous avons accueilli les habitants de Kfar Aza les bras ouverts", assure l'un des membres de la communauté de Shefayim, en tenant sa fille dans ses bras. "Maintenant, nous sommes devenus un seul et même kibboutz." Mais des familles entières manquent à l'appel. "Beaucoup de parents, des copains des enfants ont été assassinés, il y a aussi des copines de ma fille qui ont été prises en otage", raconte la femme de Yossi Biton, un pin's "Bring them home" ("Ramenez-les à la maison") sur sa veste.

"Faites du bruit pour montrer que nous n'oublions pas les otages !", lance Ilanit Suissa, micro en main, debout sur la scène. Un tonnerre d'applaudissements fait trembler la salle. "Il faut absolument que l'on conserve nos traditions comme Hanoukka, cela fait partie de nous", explique cette ex-habitante du kibboutz de Kfar Aza. "Nous sommes comme le phénix, nous renaîtrons de nos cendres."

"Même si dans nos cœurs, nous sommes restés bloqués au 7 octobre, nous devons trouver la force d'aller vers la lumière. Il faut que la lumière chasse l'ombre."

Ilanit Suissa, ex-habitante du kibboutz de Kfar Aza

à franceinfo

Cette militante, engagée de longue date à gauche et pour la paix avec les Palestiniens, est aujourd'hui déboussolée. "Il y a une cassure, je ne sais plus en quoi croire", lâche-t-elle derrière ses larges lunettes noires. "Ce qui s'est passé a brisé tous les espoirs de paix", estime son compagnon, Hezi Botser. L'homme, grand et longiligne, pèse chaque mot avant de parler. "Nous sommes perdus. Il manque tellement de gens..." Il lâche une dernière phrase, comme un nouvel effort. "C'est très dur."

Ilanit Suissa à Shefayim (Israël), le 7 octobre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

La décoration de fête et les lanternes lumineuses déposées dans le grand parc du kibboutz n'y font rien. Les difficultés du quotidien de ces familles déplacées reprennent vite le dessus. "Nous avons seulement un mini-frigo dans notre pièce, avec tous les médicaments pour le diabète de mon mari", poursuit Ilanit Suissa, avant que les larmes montent d'un coup. "Une nuit, ma fille avait faim et je n'avais rien à lui donner à manger."

"Je ne pense pas qu'on rentrera un jour chez nous"

En cette soirée de Hanoukka, des cageots entiers de beignets à l'huile ont été disposés sur les tables. Les enfants se ruent dessus, quitte à renverser du sucre partout. "Ils arrivent à préserver une joie de vivre ici et permettent aux adultes de tenir", sourit Ilanit Suissa. L'un d'entre eux est né il y a seulement trois semaines. En gigoteuse bleue et blanche, Nir est accroché à l'épaule de sa mère. "J'ai du mal à ressentir la spiritualité de la fête cette année", souffle Narkis, les yeux fatigués. "J'ai perdu toute notion du temps." A ses côtés, ses parents, eux aussi évacués de Kfar Aza, tentent de recréer un semblant de vie de famille dans ces grandes pièces impersonnelles.

Des beignets pour Hanoukka à Shefayim (Israël), le 7 octobre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Retrouveront-ils un jour leurs maisons, leurs quartiers, leur village près de Gaza ? La mère de Nir ne laisse entrevoir qu'un sourire résigné comme réponse. "Je ne pense pas qu'on rentrera un jour chez nous", tranche Hezi Botser. "Comment être sûr que l'on soit de nouveau en sécurité là-bas ?", interroge Yossi Biton.

À l’intérieur de l'amphithéâtre, les chants religieux ont laissé place à une vidéo des enfants de Kfar Aza, tournée dans le parc de leur kibboutz d'adoption. Une glace à la main, chacun d'entre eux partage son secret pour traverser cette période sombre. "Pour chasser l'ombre ? Bah, il suffit d'allumer la lumière", lance un petit garçon devant un public qui a retrouvé, un instant, le sourire.

Propos traduits par Yaelle Krief.

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