: Reportage "Plus les jours passent, plus on a peur" : sur la "place des otages", à Tel-Aviv, la mobilisation continue après deux mois de guerre
"Il faut que le monde entier continue de soutenir la cause des otages." Durant de longues minutes, Dorit tient à bout de bras une pancarte à l'effigie d'Omer Wenkert, l'un des Israéliens toujours détenus par le Hamas, mercredi 6 décembre. Pas question de baisser la garde pour cette ancienne professeure d'histoire qui a eu le jeune homme comme élève au lycée, quelques années auparavant. "En tant qu'enseignante, j'aime savoir ce que deviennent mes anciens élèves, connaître leur réussite." Mais après le massacre du 7 octobre, c'est une nouvelle tragique qu'elle apprend à propos de l'un d'eux.
Omer Wenkert, 22 ans, a été enlevé lors du festival Supernova. La voix de Dorit se bloque soudain. Ses yeux se remplissent de larmes : "Je veux que l'on se rappelle son sourire."
Depuis deux mois, cette sexagénaire aux cheveux noirs se rend au moins trois fois par semaine sur la "place des otages". La grande esplanade du musée d'art moderne de Tel-Aviv, jonchée de sculptures monumentales, est devenue le centre névralgique du mouvement de soutien aux otages, où se retrouvent les familles et les proches venus de tout le pays. A quelques centaines de mètres, on aperçoit une piste d'atterrissage des hélicoptères de l'armée israélienne et les fenêtres de l'hôpital Ichilov, qui a accueilli certaines des 105 personnes libérées par le Hamas en échange de prisonniers palestiniens lors de la trêve d'une semaine, fin novembre. Selon le gouvernement israélien, 138 Israéliens et étrangers enlevés lors des attaques du 7 octobre restent retenus par le Hamas et d'autres groupes islamistes dans la bande de Gaza.
"Bring them home"
Près de l'artère principale qui borde la place, un écran géant n'en finit plus d'égrainer les secondes, les minutes, les heures et les jours de captivité de ces otages. Et alors que la barre des 60 jours a été dépassée, la mobilisation ne faiblit pas. Derrière une montagne de sweat-shirts noirs et rouges floqués du slogan "Bring them home" ("Ramenez-les à la maison"), Orly tente de répondre à toutes les sollicitations d'un groupe de jeunes venus acheter des vêtements en soutien aux otages. "Tout le monde est bénévole ici, et tout l'argent va aux familles", explique celle qui s'occupe du stand depuis une semaine.
L'un des objets en vente est même devenu un symbole de cette bataille pour la libération des otages : la plaque militaire, habituellement portée par les soldats, est désormais visible au cou des ados, des personnes âgées, femmes ou hommes. Elles portent toujours le même message gravé : "Bring them home". "On fait tout ça pour que l'on n'oublie pas la priorité : le retour des otages", martèle Orly, tout en répondant aux commandes qui affluent.
Sous une grande tente qui accueille les visiteurs, des paquets de chips et des boissons sont disposés sur des tables en plastique. Chacun peut s'asseoir, discuter, s'entraider, comme le maire de Tel-Aviv, passé ce matin-là pour soutenir les proches mobilisés et rencontrer les bénévoles. "Nous, on vient apporter des gâteaux aux familles des otages", lance Michal, les bras remplis de paquets de sucreries. "On essaye de leur changer les idées. Hier, on a même organisé un anniversaire avec toute la décoration."
"Si on perd espoir, ça ne sert plus à rien"
Quelques mètres plus loin, une deuxième tente blanche accueille les personnes qui souhaitent rester sur place. Certaines vivent ici depuis des semaines. Une salle de la bibliothèque attenante leur est également dédiée. Impossible d'y entrer. L'espace est réservé aux proches, à l'abri des regards de la foule qui continue de se masser tous les jours sur l'esplanade. Seuls quelques bouquets de fleurs et coupes de fruits sont visibles depuis une porte en verre occultée d'un drap blanc. "Plus les jours passent, plus on a peur. Mais si on perd espoir, ça ne sert plus à rien", insiste Michal, entourée d'autres amies d'un cercle de femmes bénévoles.
"En aidant, on a l’impression de contrôler un peu la situation et ce n’est pas la situation qui prend le contrôle sur nous."
Michalà franceinfo
Au centre de la place, une longue table blanche a été dressée. Elle compte autant de chaises et de couverts que d'otages encore retenus dans la bande de Gaza. Le plan de table a été établi avec les photos et les noms de chaque personne manquante. En bout de table, les verres à pied ont été remplacés par des biberons et des chaises hautes ont été installées pour représenter les enfants enlevés par le Hamas.
Debout face aux bougies, Hilly ferme les yeux. "Pour chaque anniversaire, on a le droit de faire un vœu. Aujourd'hui, j'ai demandé la libération des otages", lance celle qui fête ses 62 ans ce jour-là.
"Il faut absolument que le pays reste uni"
Un cercle de plusieurs dizaines de jeunes adolescents se forme soudain autour d'un piano. Un petit groupe d'élèves de terminale d'un lycée du nord du pays se met à jouer et à chanter Me'cha'ke (J'attends), de l'artiste israélien Idan Raichel. Tous leurs camarades reprennent le titre en chœur. "C'est super émouvant", glisse l'un des musiciens. "C'est un privilège de jouer ici", renchérit un autre, sous l'œil de sa professeure. "Il faut se déplacer pour prendre conscience des choses. Ici, l'émotion nous a tous saisis", explique Tanya, qui enseigne l'anglais. "Soudainement, la réalité nous rattrape", confirme un élève, sandwich à la main.
Si la fin de la trêve a fait retomber l'euphorie des libérations successives, les occupants de la place refusent de céder au défaitisme. "On espère que l'armée mène également des opérations spéciales pour retrouver les otages", lance Tanya, la professeure, au côté de sa fille, réserviste de l'armée israélienne, qui porte un fusil d'assaut M16 en bandoulière.
Continuer la guerre contre le Hamas ou négocier une nouvelle trêve pour tenter de libérer des otages ? La plupart des personnes interrogées ne veulent pas prendre position. "Il faut absolument que le pays reste uni. On ne veut plus du déchirement de la société comme ces derniers mois", assure Nehoray, 19 ans, assis sous une tente dédiée aux prières.
Alors que la pluie a vidé une partie de la "place des otages", Dorit, elle, reste plantée là, pancarte à la main. "Ce matin, ma fille m'a dit : 'N'y va pas, il pleut'. Je suis quand même venue", sourit-elle. L'ancienne professeure d'Omer Wenkert a simplement emballé l'affiche de l'otage dans une pochette de plastique transparente pour la protéger de la pluie. Et pour que rien ne puisse l'effacer.
Propos traduits par Yaelle Krief.
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