Morts de manifestants palestiniens : que se passe-t-il dans la bande de Gaza ?
Au moins 19 Palestiniens sont morts près de la frontière avec Israël depuis le 30 mars lors de la "marche du retour". La communauté internationale demande une enquête sur les tirs de l'armée israélienne, refusée par Tel-Aviv.
"Ca va être un week-end sanglant", estime un officier israélien sur RFI. Les Palestiniens de Gaza organisent, vendredi 6 avril, une nouvelle mobilisation dans la bande de Gaza, à la frontière israélienne. Les habitants de cette enclave palestinienne demandent le droit au retour et la levée du blocus de Gaza.
La veille, Israël a promis une répression "dure" et a prévenu que les consignes de tirs données à la frontière seraient similaires à celles données le 30 mars, lors de la première journée de mobilisation. Depuis, au moins 19 Palestiniens sont morts lors de ces affrontements. Franceinfo fait le point sur la situation.
Les Palestiniens manifestent près de la frontière israélienne
"On ne sera pas transférés dans le Sinaï égyptien, comme le veulent les Américains et les Israéliens. (...) On continuera jour après jour, jusqu’à ce qu’on retrouve nos terres", clame une habitante de la bande de Gaza, rencontrée par Le Monde. Depuis le 30 mars, des dizaines de milliers de Gazaouis, y compris des femmes et des enfants, manifestent dans le cadre de la "grande marche du retour" le long de la barrière frontalière qui sépare la bande de Gaza d'Israël. Ils demandent l'application du "droit au retour" garanti par la résolution 194 des Nations unies. Ce droit permet aux réfugiés palestiniens chassés ou ayant fui leurs terres, lors de la guerre qui a suivi la création d'Israël en 1948, de revenir. Les manifestants demandent également la levée du blocus de Gaza.
Ce mouvement de protestation doit durer six semaines, jusqu'au 15 mai, lendemain du déménagement symbolique et contesté de l'ambassade américaine vers Jérusalem. Cette date sera aussi le jour de commémoration de la "Nakba" ("la grande catastrophe" en arabe) qui marque l'expulsion de centaines de milliers de Palestiniens en 1948.
Au moins 19 Palestiniens sont morts
Le premier jour de mobilisation, l'armée israélienne a ouvert le feu à balles réelles sur des Palestiniens qui s'étaient approchés à quelques centaines de mètres de la barrière ultra-sécurisée séparant les deux territoires. Le jour-même, 16 Palestiniens sont morts, faisant du 30 mars la journée de conflit la plus sanglante depuis 2014 lors de l'opération "Bordure protectrice". Les jours suivants, trois autres Palestiniens sont morts des suites de leurs blessures. En dehors de ces manifestations, une vingtième personne est morte lors d'un raid aérien israélien. Selon le ministère de la Santé dans la bande de Gaza, plus de 1 400 personnes ont été blessées. Aucun mort ni blessé n'a été signalé côté israélien.
L'armée israélienne assume ses tirs à balles réelles
Selon des observateurs sur place, dont les correspondants de Radio France, du Monde et Libération, des drones de l'armée israélienne ont largué des gaz lacrymogène sur les manifestants et plusieurs personnes ont été touchées par des balles alors qu'elles se tenaient à distance de la frontière. L'ONG Human Rights Watch dénonce des tirs à balles réelles non justifiés. Dans une vidéo repérée par le journal israélien Haaretz, un Palestinien reçoit une balle dans la tête après avoir agité le bras près de la frontière. Dans une autre vidéo, un Palestinien reçoit une balle dans la jambe après s'être levé pendant la prière. Du côté des manifestants, quelques groupes de Palestiniens ont affronté les soldats israéliens, avec des pierres et des cocktails Molotov.
L'armée israélienne, Tsahal, s'est défendue en affirmant que le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza depuis 2007, soutient la mobilisation, a l'habitude de publier des vidéos tronquées ou modifiées, reprend Mediapart, mais des ONG dénoncent un usage disproportionné de la force. "Sur le papier, l’armée israélienne n’engage la force létale qu’en dernier ressort, mais si l’on en juge par les déclarations de Tsahal et l’ampleur du bilan, cela n’a pas été le cas vendredi" constate Yehuda Shaul, porte-parole de l’ONG Breaking The Silence.
Le gouvernement israélien avait prévenu que l'armée n'hésiterait pas à tirer en cas de tentative d'infiltration sur son territoire. Des consignes qui restent en vigueur a prévenu le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman : "S'il y a des provocations, il y aura une réaction des plus dures comme la semaine dernière. Nous n'avons pas l'intention de changer les consignes de tirs, nous restons sur la même ligne."
"Je pense qu'il y a eu une erreur d'organisation de notre part, nous n'aurions pas dû laisser les gens" s'approcher de la frontière vendredi dernier, a affirmé Asaad Abou Sharkh, porte-parole et membre du comité d'organisation de la "Marche du retour". "Nous ne nous attendions pas à ce que les Israéliens tirent pour tuer", a-t-il ajouté.
Une mobilisation stratégique pour le Hamas
Officiellement, la mobilisation est organisée par la société civile, mais elle est aussi soutenue par le Hamas. La veille de la "marche", le mouvement avait affrété des bus et diffusé des appels dans les médias, les réseaux sociaux et les mosquées pour encourager les habitants à se mobiliser.
Cette manifestation est importante pour le mouvement islamiste. En onze ans de gouvernance dans la bande de Gaza, son bilan est "catastrophique", estime Le Monde. Le blocus israélien et égyptien a durablement affaibli l'économie locale et les Gazaouis restent dépendants de l'aide étrangère. Un bilan également marqué par l'échec de la lutte armée ; en dix ans, les Palestiniens ont connu trois guerres (2008, 2012, 2014) et des milliers de morts. Face à cette impasse, le Hamas pourrait voir dans la "marche du retour" un moyen de s'imposer de nouveau dans le conflit. Le porte-parole de l'armée israélienne a accusé le Hamas de se servir des manifestations pour lancer des attaques contre Israël et enflammer la région.
L'ONU et l'UE réclament une enquête indépendante sur les violences
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, ainsi que la représentante de la diplomatie européenne Federica Mogherini, ont réclamé une "enquête indépendante" sur l'usage par Israël de balles réelles. Le gouvernement israélien a rejeté cette demande. Avigdor Lieberman a même qualifié d'"hypocrites" ces appels à ouvrir une enquête et affirmé qu'Israël ne coopérera avec "aucune commission d'enquête". Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a également rejeté toutes les critiques, désignant l'armée de son pays comme "la plus éthique du monde".
Dans le sillage d'Israël, les Etats-Unis ont bloqué le projet de déclaration du Conseil de sécurité de l'ONU appelant "toutes les parties à la retenue et à prévenir toute escalade supplémentaire". Jeudi, dans un bref communiqué, l'émissaire de Donald Trump pour le Proche-Orient, a mis en garde les manifestants et demandé à ce qu'ils restent éloignés de la frontière.
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