Guerre dans la bande de Gaza : quelle est la situation dans le nord de l'enclave, où l'aide alimentaire a dû être suspendue face au "chaos total" ?

Le Programme alimentaire mondial a été contraint de stopper ses livraisons d'aide après que des camions ont été pillés par des Gazaouis affamés.
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Des Palestiniens quittent un quartier du nord de la ville de Gaza, le 20 février 2024. (DAWOUD ABO ALKAS / ANADOLU / AFP)

Le Programme alimentaire mondial se retrouve de nouveau à l'arrêt dans le nord de la bande de Gaza. Mardi 20 février, l'agence de l'ONU a annoncé qu'elle devait de nouveau suspendre la distribution de l'aide face "au chaos et à la violence" dans cette partie de l'enclave palestinienne. Les livraisons de nourriture avaient brièvement repris dimanche, après trois semaines d'arrêt lié entre autres à une frappe touchant un véhicule de l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens au Proche-Orient.

Une dizaine de camions devait apporter de la nourriture "pendant sept jours consécutifs" mais la violence dans ces zones a finalement contraint le Programme alimentaire mondial (PAM) à mettre ce projet en pause. "La décision de suspendre les livraisons dans le nord de la bande de Gaza n'a pas été prise à la légère, car nous savons que cela signifie que la situation sur place va se détériorer davantage, et un plus grand nombre de personnes seront menacées de mourir de faim", a prévenu le programme humanitaire. Selon l'UNRWA, au moins 300 000 personnes qui se trouvent encore dans le nord ont besoin d'aide pour survivre.

Des camions pris d'assaut 

Le Programme alimentaire mondial, en reprenant ses distributions dans le nord de la bande de Gaza dimanche, a rapidement été ciblé. Ce jour-là, un de ses convois se dirigeant vers la ville de Gaza, près du passage de Wadi Gaza, "a été cerné par une foule de gens affamés", a rapporté l'agence de l'ONU. Ses équipes ont réussi à repousser "les multiples tentatives de monter à bord de nos camions", mais ont ensuite fait face à des tirs dans la ville de Gaza. Malgré tout, "notre équipe a pu distribuer une petite quantité de nourriture en cours de route".

Mais le lendemain, un deuxième convoi en direction du nord "a été confronté à un chaos total et des violences, du fait de l'effondrement de l'ordre public". "La farine restante a été spontanément distribuée à partir des camions dans la ville de Gaza, dans un contexte de forte tension et de colère explosive", a fait savoir le PAM dans un communiqué.

"Oui, le terme pillage est parfois utilisé. Mais il s'agit de pillages liés à un désespoir."

Jonathan Fowler, porte-parole de l'UNRWA

à franceinfo

Dans le nord de l'enclave palestinienne, l'agence de l'ONU n'a pas pu fournir d'aide alimentaire depuis le 23 janvier. "Les gens s'emparent de ce qu'ils peuvent prendre", estime le responsable onusien.

Guerre entre Israël et le Hamas : vers une famine dans la bande de Gaza

En parallèle, des ordres d'évacuation lancés mardi font craindre de nouvelles opérations de l'armée israélienne dans le nord de la bande de Gaza. Selon le New York Times, l'armée israélienne a ordonné l'évacuation de deux quartiers de la ville de Gaza : Zaytoun et Turkoman. Les habitants encore sur place doivent fuir vers le village d'Al-Mawasi, près de Khan Younès, dans le sud du territoire palestinien.

Une population affamée

Ces derniers jours, les équipes du Programme alimentaire mondial "ont été témoins d'un désespoir sans précédent". Gaza, prévient l'agence, se trouve dans "un glissement précipité" vers la malnutrition. "Des gens meurent déjà de causes liées à la faim." La situation dans le nord est particulièrement "extrême" : selon le PAM, les conditions d'accès à la nourriture se détériorent rapidement et la famine pourrait se propager dans la région.

"Un collègue nous racontait que si un sac de farine s'ouvrait lors du déchargement d'un camion, des habitants venaient après la distribution pour essayer de ramasser un peu de farine. (...) Le désespoir est total."

Jonathan Fowler, porte-parole de l'UNRWA

à franceinfo

Un récent rapport publié par le Programme alimentaire mondial et l'Unicef montre qu'environ 15% des enfants de moins de deux ans, soit un sur six, souffrent désormais de malnutrition aiguë dans le nord de la bande de Gaza. La diversité alimentaire de ces enfants, essentielle à leur santé et à leur développement, est jugée "extrêmement critique". Selon le document, la population gazaouie consomme seulement un ou deux types d'aliments et elle est privée de fruits et légumes, de produits laitiers ou encore de viande. Les auteurs s'inquiètent ainsi d'"une situation extrêmement préoccupante en termes de qualité de l'alimentation", notamment pour les femmes enceintes ou qui allaitent. 

Selon des témoignages recueillis récemment par la BBC, des enfants peuvent ne pas manger pendant plusieurs jours dans le nord de la bande de Gaza et des habitants n'ont d'autre choix que de transformer des graines pour animaux en farine pour se nourrir. Même ces graines deviennent indisponibles, a rapporté à la BBC un travailleur humanitaire à Beit Lahia, dans le nord de l'enclave palestinienne. Une situation déjà catastrophique, et qui risque encore de s'aggraver sans l'arrivée d'une aide humanitaire massive. Jason Lee, directeur de l'organisation Save The Children dans les territoires palestiniens occupés, le rappelle : "L'acheminement de l'aide continue d'être entravé dans l'ensemble de la bande de Gaza, et en particulier dans les régions du nord." Un constat confirmé par Jonathan Fowler : "Le nord est l'une des régions les plus isolées, si ce n'est la région la plus isolée de la bande de Gaza" depuis le début du conflit. 

L'eau potable se fait rare 

En début d'année, le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha) a constaté une nette hausse des blocages de l'aide acheminée vers le nord de la bande de Gaza. Entre octobre et décembre, l'armée israélienne avait refusé l'accès à seulement 14% des missions humanitaires prévues. En janvier, plus de la moitié de ces missions (56%) ont été bloquées par Tsahal, selon l'Ocha. Ainsi, entre le 1er janvier et le 15 février, 62 missions ont été bloquées ou reportées. L'aide alimentaire est davantage acceptée, contrairement aux missions "visant à soutenir les hôpitaux et les installations fournissant des services d'eau, d'hygiène et d'assainissement", pointe l'agence des Nations unies. 

Or, les populations des gouvernorats du nord n'ont quasiment plus accès à l'eau potable. Dans la ville de Gaza, par exemple, une personne a en moyenne accès à 0,6 litre d'eau propre par jour, selon le rapport publié par le PAM et l'Unicef. Quelque 96% des familles interrogées ont un besoin urgent d'eau. Des personnes sont contraintes de boire de l'eau de pluie dans le nord de la bande de Gaza ou récupèrent de l'eau de mer. A Jabalia, au nord de la ville de Gaza, des habitants creusent pour atteindre les canalisations, et espérer obtenir un peu d'eau par ce biais, rapporte la BBC.

"L'eau est sale. Nos enfants sont malades et leurs dents sont abîmées à cause de l'eau sale. Il y a du sable dedans et c'est très salé." 

Un habitant du nord de la bande de Gaza

à la BBC

A cela s'ajoute un accès aux soins très limité. Dans la moitié nord de la bande de Gaza, seuls cinq hôpitaux continuent de fonctionner partiellement, selon l'ONU. Mercredi, le Royaume-Uni et la Jordanie ont largué quatre tonnes d'aide pour l'hôpital de Tal al-Hawa, comprenant des médicaments, du carburant et de la nourriture. Sur fond de malnutrition, d'accès à l'eau potable et aux soins très entravé, les maladies se propagent au sein de la population gazaouie. Au moins 90% des enfants de moins de cinq ans ont été atteints d'une ou plusieurs maladies infectieuses et 70% ont récemment souffert de diarrhée, d'après les agences de l'ONU. 

Des destructions sans précédent 

Après plus de quatre mois de combats et d'intenses frappes israéliennes, le nord de la bande de Gaza est dévasté. Le travail des chercheurs américains Corey Scher et Jamon Van Den Hoek, qui montre l'étendue des dégâts causés par la guerre, confirme que cette partie de l'enclave est la plus ravagée. Dans le gouvernorat le plus au nord, entre 69 et 82% des immeubles ont été endommagés ou détruits. Autour de la ville de Gaza, de 73 à 84% des bâtiments ont été touchés. Pour les chercheurs, ce niveau de destruction est pire qu'à Alep (Syrie) ou Marioupol (Ukraine). Dans l'ensemble de la bande de Gaza, plus de 60% des logements ont été endommagés ou détruits, selon l'Ocha, qui se base sur les chiffres du gouvernement à Gaza, dirigé par le Hamas.

"Je suis allée dans le nord une journée, tout est méthodiquement rasé", témoigne Aurélie Godard, médecin anesthésiste et référente médicale de Médecins sans frontières à Gaza, auprès de franceinfo. L'humanitaire s'est rendue dans le territoire palestinien entre le 4 janvier et le 10 février. "Les forages d'eau, les usines, les habitations, les écoles... Tout ce qui fait que la vie quotidienne est possible a été détruit dans le nord. Il n'y a plus rien."

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