Gaza : "Israël a le droit de prendre des mesures pour protéger sa population", mais "pas à n'importe quel prix", estime un professeur de droit international

La Cour internationale de justice examine jeudi et vendredi une requête de l'Afrique du Sud accusant Israël de génocide. "Si la Cour adopte des mesures conservatoires, elles seront obligatoires pour les parties et donc pour Israël", estime François Dubuisson.
Article rédigé par franceinfo
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Des habitants palestiniens devant l'hôtel Al-Deira, endommagé par des bombardements israéliens, le 6 janvier 2024. (AFP)

"Israël a le droit de prendre des mesures pour protéger sa population, mais ça ne peut pas se faire à n'importe quel prix", déclare jeudi 11 janvier 2024 sur franceinfo François Dubuisson, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles. Devant la Cour internationale de justice, à La Haye (Pays-Bas), l'Afrique du Sud accuse Israël de commettre un génocide dans la bande de Gaza. Les audiences se déroulent jeudi 11 et vendredi 12 janvier. Dans sa requête, Pretoria juge que l'Etat hébreu "s'est livré, se livre, et risque de continuer à se livrer à des actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza".

franceinfo : l'Afrique du Sud lance deux procédures distinctes, une en urgence, et une qui peut prendre des années à être examinée. Peut-on parler d'une dimension symbolique exceptionnelle ?

François Dubuisson : Oui, il y a à la fois une dimension symbolique lorsqu'on entend les plaidoiries alors que les événements de violation de la convention sur le génocide sont en cours. Cette convention est certainement une des extensions les plus célèbres en droit international, et ça renvoie à un crime particulièrement grave. Il y a également une dimension tout à fait concrète, puisque ce que cherche l'Afrique du Sud à travers ses demandes de mesures conservatoires, c'est d'avoir une prise immédiate sur les événements et non pas simplement attendre l'issue d'une procédure qui sera très longue, mais demander à la Cour qu'elle puisse agir immédiatement sur le cours des événements, pour prévenir la poursuite des actions actuelles et prévenir en particulier la matérialisation d'un génocide.

"Il y a une symbolique et une sensibilité particulières, mais je pense que le message qui veut être transmis, c'est que tout Etat est soumis au droit international."

François Dubuisson, professeur de droit international

sur franceinfo

L'Afrique du Sud a souligné que l'argument selon lequel Israël ne fait que répondre à l'attaque du Hamas n'est pas un argument suffisant en tant que tel : oui, Israël a le droit de prendre des mesures pour protéger sa population, mais ça ne peut pas se faire à n'importe quel prix et, en particulier, cela ne peut pas justifier des bombardements indiscriminés qui prendraient pour cible l'ensemble de la population civile de Gaza, de même que les restrictions à l'accès à l'aide humanitaire.

Est-ce étonnant que cette requête vienne de l'Afrique du Sud ?

Oui et non. C'est vrai qu'on peut se demander ce que l'Afrique du Sud vient faire là-dedans. C'est simplement le fait que s'agissant de la Convention sur le génocide, elle relève d'intérêts communs de l'ensemble des États de la communauté internationale. N'importe quel Etat peut donc se prévaloir de cette Convention pour demander qu'un autre État la respecte. On a des précédents, notamment la Gambie qui a introduit une action contre la Birmanie s'agissant du traitement infligé à la population des Rohingyas. De manière plus particulière, l'Afrique du Sud a toujours eu une sensibilité particulière pour la cause palestinienne, faisant notamment le parallèle entre l'apartheid qui était subi par la population noire sud-africaine et le sort réservé aux Palestiniens.

Sur quoi la Cour internationale de justice va-t-elle se baser pour prendre ses décisions ?

Pour qu'il y ait génocide, il faut qu'il y ait un certain nombre d'actes matériels qui sont, en tant que tels, relativement généraux, comme les meurtres ou la soumission d'une population civile à des conditions qui mettent en péril son existence. Il faut que la population soit visée en raison d'une origine particulière. Ici, ce serait l'origine nationale palestinienne, mais également qu'il y ait une intention de détruire tout ou partie de cette population. 

"C'est toujours cet élément-là qui est le plus difficile à établir : l'intention génocidaire."

François Dubuisson

sur franceinfo

Pour prouver un génocide, on peut le faire de deux manières, soit en listant une série de déclarations assez explicites qui montrent la volonté de détruire une population civile en tant que telle, soit il faut démontrer que des actes matériels, par exemple, les bombardements indiscriminés ou les restrictions à l'accès à l'aide humanitaire, sont tels qu'ils révèlent une ligne de conduite dont la seule interprétation raisonnable est la volonté génocidaire.

En l'occurrence, comme on en est au stade des mesures conservatoires, la Cour ne va pas devoir établir de manière indubitable qu'il y a bien intention génocidaire, mais simplement considérer qu'il y a des éléments suffisamment crédibles qui pourraient faire craindre à la commission des actes de génocide pour qu'il y ait besoin d'adopter des mesures d'urgence pour éviter une aggravation de la situation.

Comment la Cour peut-elle faire appliquer ses décisions, puisqu'elle n'a pas les moyens de les faire respecter par la force ?

Si la Cour adopte des mesures conservatoires, elles seront obligatoires pour les parties et donc pour Israël. Mais ça ne veut pas dire qu'Israël s'y conformera nécessairement. L'ensemble des États qui sont parties à la Convention sur le génocide, dont la France, ont une obligation de prévention de génocide. Les Etats pourront ou même devront se prévaloir des mesures conservatoires édictées par la Cour pour faire davantage pression sur Israël pour qu'il modifie sa politique à Gaza et qu'on aille vers un cessez-le-feu qui serait la seule garantie d'éviter l'aggravation de la situation.
C'est aussi un élément dont va pouvoir s'emparer l'ensemble des États de la communauté internationale pour essayer de peser sur la situation.

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