Guerre dans la bande de Gaza : trois questions sur les accusations d'"actes de génocide" émises par l'Afrique du Sud contre Israël

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - avec AFP
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Des immeubles détruits par des frappes israéliennes dans le centre de la bande de Gaza, le 3 janvier 2024. (JACK GUEZ / AFP)
Une plainte a été déposée par Pretoria auprès de la Cour internationale de justice. D'après cette requête sud-africaine auprès de la plus haute juridication de l'ONU, l'Etat hébreu cherche à "provoquer la destruction d'une partie substantielle du groupe national, racial et ethnique palestinien".

Des "actes génocidaires" sont-ils commis dans la bande de Gaza, depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas ? Des audiences sont attendues à la Cour internationale de justice (CIJ), jeudi 11 et vendredi 12 janvier, au sujet d'une requête déposée fin décembre par l'Afrique du Sud. Dans sa requête (en PDF), le pouvoir sud-africain juge que l'Etat hébreu "s'est livré, se livre et risque de continuer à se livrer à des actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza" depuis le début de ses opérations dans l'enclave palestinienne, en représailles aux atrocités commises par le Hamas le 7 octobre.

L'Afrique du Sud est un soutien de longue date de la cause palestinienne. "Notre liberté est incomplète sans celle des Palestiniens", déclarait d'ailleurs Nelson Mandela en 1997. Que reproche et demande l'Afrique du Sud à Israël ? Que peut faire la plus haute juridiction de l'ONU ? Comment réagissent les autorités israéliennes ? Franceinfo répond à toutes ces questions. 

Pourquoi la Cour internationale de justice a-t-elle été saisie ?

L'Afrique du Sud ainsi qu'Israël sont parties prenantes de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide. Comme l'explique l'ONU, le texte "prévoit que des Etats puissent saisir la justice pour empêcher un crime de génocide de se produire" et "fait obligation aux Etats parties de la Convention de prendre des mesures pour prévenir et réprimer le crime de génocide".

L'Afrique du Sud condamne ainsi "sans équivoque" les attaques terroristes du Hamas, mais juge qu'une attaque, "aussi grave soit-elle" et même si elle comprend des atrocités, "ne peut justifier ou défendre des violations de la Convention" sur le génocide. Pour Pretoria, la réponse d'Israël à ces attentats comprend des actes "génocidaires" car "ils visent à provoquer la destruction d'une partie substantielle du groupe national, racial et ethnique palestinien".

Telle est la définition du crime de génocide, selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale : le meurtre de membres d'un groupe, une "atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale", ou encore une "soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle", "dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux".

Pour appuyer ces accusations, l'Afrique du Sud évoque "le meurtre de Palestiniens à Gaza", "de graves dommages physiques et psychologiques" et "des conditions de vie susceptibles de provoquer leur destruction physique" depuis le début d'une "campagne militaire exceptionnellement brutale" dans la bande de Gaza. En trois mois, après l'attaque qui a fait environ 1 140 morts en Israël, selon un décompte de l'AFP, la guerre a fait au moins 23 357 morts, d'après le ministère de la Santé administré par le Hamas. Un bilan invérifiable faute de source indépendante sur place, mais repris par l'ONU.

Que peut faire cette juridiction ? 

A travers sa requête, Pretoria demande à la Cour internationale de justice de prendre des "mesures provisoires", "nécessaires pour protéger [les Gazaouis] contre d'autres graves et irréparables atteintes aux droits du peuple palestinien, en vertu de la Convention sur le génocide". Pendant que la Cour se penche sur le cœur du dossier, l'Afrique du Sud appelle à une suspension immédiate des opérations israéliennes dans la bande de Gaza. Elle demande aussi la fin des déplacements forcés de Gazaouis, un accès suffisant à l'aide humanitaire, à la nourriture et à l'eau, ou encore une préservation des preuves qui pourraient être étudiées dans cette affaire.

Si la CIJ prend des mesures conservatoires, celles-ci sont contraignantes juridiquement, rappelle l'ONU. Elles ne peuvent pas faire l'objet d'un appel, mais la juridiction n'a pas de pouvoir sur leur application. En mars 2022, la Cour internationale de justice avait ainsi appelé la Russie à "suspendre immédiatement" l'invasion de l'Ukraine... mais cette mesure n'a jamais été respectée par Moscou. Comme le rappelle le site The Conversation, la décision de la CIJ sur des mesures provisoires intervient régulièrement un à deux mois après les audiences.

"La Cour internationale de justice peut prononcer des mesures provisoires avant de se prononcer compétente" sur le fond du dossier, précise Yann Jurovics, maître de conférences en droit international à l'université Paris-Saclay. En prononçant des mesures provisoires, "elle dit qu'il y a des éléments qui l'amènent à prendre au sérieux la question de sa compétence", ajoute cet ancien juriste pour les tribunaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda.

Ce processus, s'il se poursuit, devrait durer plusieurs années. "Il est très difficile d'établir des faits de génocide. C'est un crime qui exige beaucoup d'éléments constitutifs. Il faut établir qu'il y a une volonté de détruire un groupe, uniquement parce qu'il existe", rappelle Yann Jurovics. Ce dernier doute toutefois que l'action enclenchée par Pretoria aboutisse. 

Quelles sont les réactions ? 

L'Afrique du Sud a décidé de suspendre ses relations diplomatiques avec Israël le 21 novembre. Sans surprise, l'Etat hébreu a vivement réagi aux accusations sud-africaines. Celles-ci sont une "diffamation absurde", a fustigé le porte-parole du gouvernement israélien. Pour Eylon Levy, Pretoria se rend au contraire "criminellement complice de la campagne de génocide du Hamas contre notre peuple" et "se bat bénévolement pour les racistes antijuifs". "L'histoire vous jugera", a encore déclaré le porte-parole. 

Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a également répondu à la requête de Pretoria devant la Cour internationale de justice. Il a évoqué "une fausse accusation" et exprimé son "dégoût". "Non, Afrique du Sud, ce n'est pas nous qui sommes venus perpétrer un génocide, c'est le Hamas", a déclaré le chef du gouvernement. Le Hamas, a-t-il poursuivi, "nous tuerait tous s'il le pouvait. Au contraire, Tsahal agit de la manière la plus morale. Elle fait tout son possible pour éviter de nuire aux civils, alors que le Hamas fait tout son possible pour leur nuire, en les utilisant comme bouclier humain". 

La requête sud-africaine a également été rejetée par les Etats-Unis, alliés historiques d'Israël. Le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby, a ainsi estimé qu'elle était "sans mérite, contre-productive et dénuée de tout fondement factuel". Le porte-parole du Département d'Etat américain, Matt Miller, a affirmé que les Etats-Unis n'observaient "aucun acte qui puisse constituer un génocide" dans les opérations menées par Israël.

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