Iran : "Il y a un fond de mécontentement réel" qui "a un caractère socio-économique"
David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas), a expliqué, samedi sur franceinfo, que les Iraniens trouvent l'interventionnisme de leur pays au Proche-Orient trop couteux.
"Il y a un malaise profond qui s'est installé en Iran", a déclaré sur franceinfo, samedi 30 décembre, David Rigoulet-Roze. Le chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas) a estimé que le chômage chez les jeunes dans le pays est "inquiétant". L'auteur de L'Iran pluriel, paru en 2011, a réagi alors que l'Iran est secouée par des manifestations contre la vie chère et le chômage. Par ailleurs, deux personnes ont été tuées lors d'affrontements dans la ville de Doroud, samedi, a déclaré le vice-gouverneur de la province de Lorestan à la télévision d'Etat.
franceinfo : De telles manifestations sont-elles rares en Iran ?
David Rigoulet-Roze : Il y a un malaise profond qui s’est installé en Iran. Les protestations ont démarré d'abord à Machhad, qui est la seconde ville du pays. Maintenant, la contestation s’est étendue. Elle a un caractère socio-économique mais cela ne veut pas dire qu’il n'y a pas de slogans politiques qui apparaissent. La question en arrière-plan est de savoir s’il y a une instrumentalisation car il y a des slogans qui disent : 'Pas Gaza, pas le Liban, ma vie est en Iran.' C’est aussi une stigmatisation de l’interventionnisme à l’extérieur pour un coût économique et humain qui pénalise le pays en interne.
Les Iraniens en ont-ils assez de cet interventionnisme ?
Les Iraniens trouvent cet interventionnisme trop couteux. Sur le plan humain, il y a des pertes importantes et en termes économiques, c’est de l’argent qui ne rentre pas dans le développement économique de l’Iran. Or, la situation n’est pas très favorable, même s’il y a eu des améliorations depuis la présidence Rohani. L’inflation est passée de 40% à moins de 10%, mais le point noir reste le chômage avec 12,5% de demandeurs d'emplois et probablement, officieusement, autour de 16-18%. Surtout, le chômage des jeunes est inquiétant avec plus de 25% de demandeurs d'emplois. C’est la difficulté à laquelle doit faire face le président Rohani compte tenu des espoirs soulevés par le renouvellement de son mandat avec la signature de l’accord sur le nucléaire qui était censé faire rentrer beaucoup d’argent en Iran.
Pourquoi la levée partielle des sanctions économiques tarde-t-elle à faire effet ?
Le vice-président iranien Jahangiri a estimé qu’il n’y avait que 2 milliards d’investissements qui étaient rentrés dans les caisses de l'État. C'est bien peu par rapport aux attentes initiées par la signature de cet accord. Cela tient probablement en grande partie aux sanctions américaines unilatérales qui, elles, n’ont pas été levées et cela reste une dissuasion pour les autres acteurs, y compris pour les entreprises non américaines. C'est un frein, un obstacle considérable pour le développement de l’économie iranienne.
Les États-Unis ont qualifié l'Iran d'État voyou. Les Etats-Unis téléguident-ils ces protestations ?
C’est, probablement, ce que vont dire les autorités iraniennes. Mais, en général, il y a un fond de mécontentement qui est réel et qui n’est pas fabriqué. Après, il peut y avoir des opportunismes mais la société iranienne est très mûre. C'est donc avant tout un mécontentement de la population. La stratégie est risquée pour tout le monde parce que l’Iran fait figure d’État relativement solide par rapport à la situation régionale qui est prise dans une crise très profonde que ce soit en Irak, en Syrie ou au Yémen. L’idée que l’Iran puisse être touchée par cette déstabilisation ne fera pas les affaires de la stabilité régionale, même si on peut souhaiter une transition vers une forme de démocratisation de la société iranienne qui est déjà avancée. La déstabilisation du régime iranien en tant que tel n’est pas l’option la plus pertinente à la vue de la situation régionale. Mais, probablement que le président Trump se frotte les mains.
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