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Coups de fouet, barils de brut et gérontocratie : à quoi ressemble l'Arabie saoudite aujourd'hui?

Alors que le royaume vient de connaître un changement de souverain prévu de longue date, francetv info se penche sur les particularités et les contradictions d'un des pays les plus puissants du Moyen-Orient.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le roi Abdallah d'Arabie saoudite, saluant son demi-frère et sucesseur Salmane Ben Abdel Aziz Al-Saoud, le 22 novembre 2010, à Riyad (Arabie saoudite). ( AP / SIPA )

Une nouvelle page de l'histoire de l'Arabie saoudite s'est tournée, vendredi 23 janvier, avec l'annonce de la mort du roi Abdallah, dixième fils du fondateur du royaume Abdel Aziz Ibn Saoud. Son successeur désigné est son demi-frère, le prince Salmane. Un changement de souverain qui s'opère dans le calme et la continuité. L'occasion pour francetv info de se pencher sur ce pays où les rois sont tous frères, où le pétrole coule à flot et où liberté rime parfois avec fouet.

La vieillesse au pouvoir

En 1932, après avoir fondé son royaume à coups de sabres, le roi Abdel Aziz  Ben Abderrahmane Al-Saoud a mis en place un système de succession destiné à ses 53 fils : à la mort d'un roi, c'est son jeune frère le plus proche qui prend le relais.

Salmane est le cinquième fils de la fratrie à monter sur le trône. Mais le nouveau roi est déjà âgé de 79 ans et souffrirait, selon The Atlantic (en anglais), de démence. Son successeur probable, Muqrin, a 70 ans. Autant dire que les rois saoudiens risquent de rester encore longtemps des hommes très âgés et aux règnes courts, favorisant l'instabilité politique et le conservatisme moral.

L'arrivée au pouvoir de la génération suivante ne mettrait pas forcément fin à cette gérontocratie. Comme l'explique Jeune Afrique, Muteb Ben Abdallah et Mohamed Ben Nayef, les deux princes favoris pour remporter la guerre des petits-fils d'Abdel Aziz, sont déjà âgés de 63 et 56 ans. Celui qui succédera au dernier roi de la génération précédente pourrait lui aussi être devenu un vieil homme au moment de monter sur le trône.

Mais le principal handicap de ce système de succession vient du fait que lorsqu'un roi succède à son frère, les autres frères, qui représentent chacun un clan susceptible d'arriver au pouvoir dans le futur, revendiquent une partie des prérogatives. A l'un l'armée, à l'autre les banques, à un autre le pétrole, etc. Un mode de gouvernance qui provoque parfois des prises de décisions antagonistes. D'après Le Point, c'est ce qui explique que Riyad a pu se présenter d'un côté comme un allié des Etats-Unis pendant que, de l'autre, des fonds saoudiens finançaient les mouvements jihadistes syriens... combattus désormais par Washington. 

Le pétrole comme arme fatale

Si les automobilistes du monde entier ont retrouvé le sourire ces derniers mois, le pouvoir saoudien y est un peu pour quelque chose. Deuxième producteur de brut au monde, l'Arabie saoudite a décidé d'ouvrir ses vannes en juin 2014, pour inonder le marché mondial. Le prix du baril a mécaniquement baissé, atteignant son niveau le plus bas depuis six ans, en dessous de 50 dollars.

L'objectif de Ryad est triple. Il s'agit d'abord de se débarasser de la concurrence du gaz de schiste américain, dont le point faible est le coût d'exploitation. Comme l'expliquent Les Echos, le baril saoudien bon marché condamne la rentabilité de cette nouvelle source d'énergie, et assure à Riyad, à terme, de précieuses exportations vers les Etats-Unis.

Mais cette chute des prix du pétrole a également l'avantage d'handicaper deux autres pays concurrents sur le marché : l'Iran, ennemi intime de l'Arabie saoudite, et la Russie, premier soutien de l'autre ennemi intime, la Syrie, comme l'explique L'Expansion. Pour le pouvoir saoudien, cette conjoncture lui permet enfin de rappeler que ses réserves de pétrole, les plus importantes du globe, sont une arme géopolitique redoutable, qui avait déjà participé à la chute de l'URSS à la fin des années 1980.

L'Iran dans le viseur

C'est un épisode dont la diplomatie française se serait bien passé, tant les relations étaient tendues entre le président de l'époque, Nicolas Sarkozy, et le roi Abdallah. En juillet 2010, le souverain saoudien annule violemment une visite à Paris. En cause, un article du Figaro dans lequel est rapportée une conversation entre le roi et Hervé Morin, alors ministre français de la Défense. "Il y a deux pays au monde qui ne méritent pas d’exister : l’Iran et Israël", aurait dit le roi au ministre, une indiscrétion infirmée par Riyad, mais jamais démentie en France.

Cette attaque contre Israël intervient dans un contexte critique : l'Etat hébreu vient de prendre d'assaut une flotille internationale à destination de Gaza, faisant 9 morts. La désignation, par les Saoudiens, de l'Iran comme un ennemi mortel n'a, elle non plus, rien de surprenant. Téhéran est le pays chiite le plus puissant du globe, quand l'Arabie saoudite est l'épicentre du sunnisme. Et l'incident du Figaro en rappelle un autre. En 2008, le site WikiLeaks avait révélé des documents américains secrets relatant la demande du roi Abdallah de "couper la tête du serpent" iranien. Un appel lancé à Washington pour intervenir militairement contre Téhéran.

Cette guerre froide entre les deux mastodontes du Moyen-Orient conditionne aujourd'hui les tensions dans la région. La lutte contre les jihadistes de l'Etat islamique est ainsi le théâtre d'une opposition entre Saoudiens et Iraniens, comme l'explique l'ancien ambassadeur de France en Jordanie Denis Bauchard : "Ce qui se joue là, c'est une continuité de l'affrontement Arabie saoudite-Iran, pour savoir qui sera le gendarme du Moyen-Orient."

Sus aux blogueurs et aux femmes au volant

Alors que le nombre d'exécutions a explosé en Arabie saoudite en 2014 (87 contre 78 en 2013), l'année 2015 est partie sur des bases encore plus dures. Douze personnes ont déjà été exécutées en moins de vingt jours. Mais c'est surtout le sort de Raif Badawi qui provoque l'émoi de la communauté internationale. Pour avoir créé un site internet critiquant le gouvernement et l'islam, il a été condamné à dix ans de prison, 225 000 euros d'amende et 1 000 coups de fouet. Un châtiment corporel équivalent à une cruelle condamnation à mort.

Cette sévérité tranche avec l'esprit d'ouverture que le roi Abdallah avait tenté de prôner, notamment en matière politique, durant son règne. Il a organisé les premières élections municipales en 2005, et le droit de vote doit être accordé aux femmes cette année. Mais conduire leur est toujours interdit, comme peuvent en témoigner deux Saoudiennes emprisonnées pour avoir tenté de traverser la frontière avec les Emirats arabes unis au volant d'une voiture, comme le relate RFI

La crainte des révolutions... et des bonshommes de neige

L'ultraconservatisme moral du pouvoir politique saoudien est lié à sa relation avec les autorités religieuses, qui est à l'origine de la création du royaume, comme l'explique La Vie. Le wahhabisme, courant puritain de l'islam dont la version exportée est le salafisme, constitue le pilier moral et judiciaire du pays.

Le puritanisme religieux sert également les intérêts économiques du pays. Comme l'explique le chercheur David Rigoulet-Roze, cité par Atlantico, le souverain saoudien a privilégié l'islam radical et le "panislamisme" pour éloigner la menace du panarabisme, le regroupement de toutes les nations arabes voulu par Nasser. Objectif : "ne pas avoir à partager avec les autres pays arabes le pactole pétrolier", selon David Rigoulet-Roze.

Plus récemment, la sévérité des autorités et des tribunaux islamiques, combiné à des dépenses sociales accrues, a également servi à prévenir toute velléité de contestation du pouvoir à l'heure où de nombreux pays du Moyen-Orient, comme l'Egypte ou la Syrie, ont explosé après le "printemps arabe" en 2011. Quitte à laisser les oulémas les plus radicaux envisager un déplacement du tombeau de Mahomet, pour éviter toute idolâtrie. Quitte aussi à interdire aux enfants de faire des bonshommes de neige, considérés comme "anti-islamiques".

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