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Le Nobel de physique peut "susciter la curiosité" des jeunes et les "entraîner dans le courant de la science", estime Serge Haroche, prix Nobel 2012

Le professeur émérite au Collège de France estime que ce prix décerné à des Français peut servir à valoriser l'image de la physique auprès des jeunes et de susciter des vocations.
Article rédigé par franceinfo
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Serge Haroche, prix Nobel 2012, arrive à l'Elysée, le 18 mars 2019. (LUDOVIC MARIN / AFP)

"Il faut que des jeunes s'intéressent à la science et soient entraînés dans le courant de la science", a affirmé mardi 3 octobre sur franceinfo Serge Haroche, professeur émérite au Collège de France, prix Nobel de physique 2012, après l'attribution du prix Nobel de physique 2023 au trio composé de Pierre Agostini (France), Ferenc Krausz (Hongrie/Autriche) et Anne L'Huillier (France/Suède) pour leurs travaux sur le déplacement des électrons à l'intérieur des atomes et des molécules.

franceinfo : Est-ce que la France est un grand pays pour la recherche physique ?

Serge Haroche : La France est un pays qui a eu beaucoup de succès, en particulier dans le domaine de l'optique depuis très longtemps. Il y a une école d'optique française qui a été et qui est excellente. Et ça remonte à longtemps. Au XIXe siècle, Augustin Fresnel a déjà montré que la France jouait un rôle important pour comprendre les phénomènes fondamentaux de la lumière et l'interaction de la lumière avec la matière. C'est la suite de cette longue tradition que l'on voit aujourd'hui et qu'il faudrait essayer de pouvoir perpétuer, pas seulement en optique, mais dans l'ensemble de la physique et de la science.

Et ce n'est pas le cas tellement actuellement. Pierre Agostini travaille aux États-Unis. Anne L'Huillier est en Suède. Y a-t-il une fuite des talents ?

Il y a effectivement une fuite des talents avec des situations qui ne sont pas comparables. Anne L'Huillier est partie, à une époque, pour des raisons familiales. Elle a eu l'opportunité d'établir un groupe de recherche extrêmement fructueux en Suède, parce qu'elle a eu les moyens de monter un nouveau laboratoire. Dans le cas de Pierre Agostini, il est parti de la France au début des années 2000 parce qu'il avait atteint l'âge de la retraite au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) qui était de 60 ans à l'époque. Là, je pense qu'il y a effectivement un manquement de la France. Le CEA avait une politique rigide de mise à la retraite de ses chercheurs. Ils ont interrompu ce type de recherches sur les lasers produisant des impulsions ultra courtes au moment où ce domaine prenait de l'essor dans le monde entier. Là, je pense qu'il y a un problème.

"De façon plus générale, un grand nombre de jeunes chercheurs actuellement, qui ont été formés en France, qui auraient aimé pouvoir continuer à faire leurs recherches en France, sont obligés d'aller chercher à l'étranger des moyens pour travailler, parce que les conditions données aux jeunes chercheurs ne sont pas équivalentes dans l'ensemble des pays. La France n'est pas au meilleur rang dans ce domaine."

Serge Haroche, prix Nobel de physique 2012

à franceinfo

Quel est votre regard sur le choix de récompenser ces trois chercheurs, Pierre Agostini, Anne L'Huillier et Ferenc Krausz ?

Je pense que c'est un choix très judicieux parce qu'ils ont joué depuis longtemps, à des degrés divers, un rôle dans la génération de ces impulsions ultra courtes et dans la façon de pouvoir les mesurer. Il ne suffit pas de créer des impulsions très courtes, mais il faut être capable de mesurer leur durée et d'étudier à l'aide de ces impulsions des phénomènes extrêmement rapides qui se passent dans la matière, dans les atomes, dans les molécules et dans les solides. Donc c'est un nouveau moyen d'investigation de la matière qui pourra donner lieu à des applications à l'avenir en physique, mais également en biologie, parce qu'il y a des processus très rapides qui se produisent au niveau de la matière biologique, et peut-être même en médecine aussi.

L'année scolaire qui commence 2023-2024 est consacrée année de la physique, décision, entre autres du ministère de l'Education nationale. Est-ce que cela peut servir à valoriser l'image de la physique auprès des jeunes, de susciter des vocations ?

Oui, j'en suis sûr. C'est très important de rendre les jeunes conscients de l'importance de la science en général et de la physique en particulier, et du fait que la science, qui est motivée au départ par la curiosité, peut ensuite conduire à des applications qui sont essentielles. Tous les problèmes qui sont posés aujourd'hui, tous les défis qui se posent aujourd'hui à l'humanité pour créer et améliorer des sources de production d'énergie, pour capter la lumière du soleil de façon plus efficace, sont absolument essentiels.

Il faut de la recherche fondamentale pour y arriver. Et pour ça, il faut que des jeunes s'intéressent à la science et soient entraînés dans le courant de la science. Il n'y a pas de meilleure façon de le faire que de susciter leur curiosité et de leur montrer que, en satisfaisant cette curiosité, on peut faire des choses utiles.

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