Cet article date de plus de huit ans.

Pourquoi certains criminels ne peuvent pas être considérés comme apatrides

Le débat sur la déchéance de nationalité en France met en lumière des femmes et des hommes privés d'un droit élémentaire. Le monde compterait au moins 12 millions d'apatrides. Ils ne sont liés à aucun Etat mais font l'objet d'un statut particulier régi par la Convention de 1954 qui exclut les personnes qui ont commis «des crimes contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité»
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un rohingya de Birmanie réfugié dans un camp temporaire installé à Aceh, une province d'Indonésie, située sur la pointe nord de l'île de Sumatra, le 15 juin 2015.
 (AFP PHOTO / CHAIDEER MAHYUDDIN)

Non, la France ne créera pas d’apatrides«personnes qui n'ont la nationalité d'aucun Etat de par sa législation» – si elle décidait d’inscrire dans sa Constitution le fait de pouvoir déchoir de leur nationalité les Français condamnés pour terrorisme et qui ne peuvent se prévaloir que d’une seule nationalité. Cette éventualité a été déjà écartée par le Premier ministre français Manuel Valls au motif que la France «ne peut pas créer d’apatrides». En réalité, Paris aurait surtout créé des personnes dont le statut fait l’objet aujourd'hui d’un vide juridique. La raison en est simple: l'apatridie a été régie par la communauté internationale. 

Un statut dont ne relèvent pas certains criminels
«Le fait d'enlever la nationalité à une personne qui ne serait citoyenne que d'un seul pays risquerait de créer de l'apatridie. Mais dans la convention de 1954 sur le statut d’apatride (…), il y a une clause d’exclusion (article1), explique Céline Schmitt, porte-parole du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Sont ainsi exclues de ce statut les personnes qui ont commis des crimes de guerre, des crimes allant à l'encontre des principes des Nations Unies… Une personne qui aurait perdu sa nationalité parce qu'elle a commis un acte terroriste serait par conséquent exclue du statut d'apatride.»

Même s'il n'y a pas encore une définition qui fait consensus au niveau des Etats, les actes terroristes peuvent être assimilés à des crimes contre l’humanité. «Certains actes de terrorisme pourraient vraisemblablement faire l’objet de poursuites (...)  en tant que crimes contre l’humanité, pourvu qu’ils satisfassent à un certain nombre de critères généralement acceptés», analyse Philippe Kirsch, ancien président de la Cour pénale internationale. 

Les principales situations d'apatridie relèvent notamment de la dissolution d'Etats, de discrimination à l'égard des femmes ou encore de discrimination raciale et ethnique. «Celles qu’on connaît sont, par exemple, liées à la chute de l’ex-URSS, poursuit Céline Schmitt. Les personnes qui n’étaient pas dans "leur pays" lors de l’enregistrement général sont devenues apatrides. Elles n’avaient la nationalité d’aucun pays membre de l’ex-l’URSS et leur ancien passeport, leur ancienne nationalité, n’étaient plus valides.»

Les apatrides, victimes de discriminations
L’effondrement de l’Union soviétique a ainsi amplifié le drame des Turcs meskhètes. Originaires de la région meskhète en Géorgie (Sud-Ouest), ils comptent parmi les populations déportées en 1944 par Staline et sont devenus des apatrides après la chute de l’URSS. Comme condition à son adhésion à l’Union européenne en 1999, Bruxelles a imposé à la Géorgie d'accueillir les Meskhètes dans un délai de douze ans. Mais «seul un petit nombre de ces personnes a effectivement déjà été rapatrié», constatent des députés européens dans une proposition soumise à de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, daté de mai  2015. 

De même, dans plusieurs Etats du Golfe, «les populations laissées à l'écart au moment de l'indépendance sont aujourd'hui appelées les Bidouns, littéralement "sans" en arabe», peut-on lire sur le site du HCR. En Europe, les Roms sont souvent apatrides.

Autre source de création de l'apatridie : la situation des femmes qui ne peuvent pas transmettre la nationalité à leurs enfants dans certains pays. «C’est le cas de la Syrie, indique Céline Schmitt. Il y a un risque d’apatridie exacerbé par le conflit syrien. Une femme qui a perdu son mari se retrouve dans l’impossibilité de donner la nationalité à son enfant... Dans d’autres Etats, l’apatridie est liée à l’origine.» C'est ainsi qu'en 1972, le dictateur Idi Amin Dada expulse de façon arbitraire quelque 50.000 membres de la communauté indo-pakistanaise (les Asiatiques de l’Ouganda) qui contrôlent alors l’activité économique du pays. 

Un enfant apatride toutes les dix minutes
Selon les estimations du HCR, le monde compterait environ 12 millions d’apatrides. Mais ce nombre «pourrait être plus important», estime Céline Schmitt. «Tous les apatrides ne sont pas enregistrés parce que leurs situations sont souvent oubliées.»

L'agence des Nations Unies est aux avant-postes de la protection de ces personnes. «Nous faisons un plaidoyer auprès des Etats pour qu’ils signent les différentes conventions internationales relatives au statut des apatrides (convention de 1954, comparable à celle de 1951 pour les réfugiés) et à la lutte contre l’apatridie (la convention de 1961).» La première renvoie à la protection de leurs droits, la seconde vise à réduire le nombre des apatrides.

Faire reculer l’apatridie passe, note Céline Schmitt, par des «mesures simples et peu coûteuses». Exemple : l’enregistrement des naissances. «Un enfant apatride naît toutes les dix minutes», indique la porte-parole du HCR. Aussi, l’organisation apporte-t-elle son aide aux Etats pour faire en sorte que les naissances soient enregistrées. «Nous travaillons avec les autorités jordaniennes afin que les enfants réfugiés syriens qui naissent en Jordanie aient des certificats de naissance en tant que réfugiés.» Des documents qui pourront leur permettre de réclamer plus tard la nationalité syrienne.

Selon le HCR, les pays qui comptent le plus grand nombre d’apatrides sont l’Irak (sous le régime de Saddam Hussein, les Feili kurdes ont été privés de leur nationalité par un décret qui a été abrogé en 2006), le Kenya (les Nubiens), le Myanmar (les Rohingyas), le Népal, la Syrie,  la Thaïlande, l’Estonie et la Lettonie (ce pays abrite la plus forte communauté d’apatrides sur le continent européen).

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.