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Jérusalem, archéologie de tous les dangers

Jérusalem. Chaque mètre carré est l’objet de divisions entre Israéliens et Palestiniens. Les Israéliens veulent en faire leur capitale «indivisible» tandis que les Palestiniens tentent de sauver l’idée d’en faire aussi la leur. Du côté israélien, tout est bon pour «judaïser» la ville. Dans ce but, même l’archéologie peut devenir une arme.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Médaillon avec un chandelier à sept branches trouvé lors de fouilles archéologiques au pied du mur sud de la mosquée El Aqsa (photo de 2013). (TALI MAYER / AFP)

Depuis qu’Israël s’est emparé de Jérusalem-Est et notamment de la Vieille Ville, lors de la guerre des Six jours (juin 1967), l’histoire de la ville a pris une place primordiale dans les débats en raison de la présence des lieux saints juifs (le Mur), musulmans (l’Esplanade des mosquées) ou chrétiens.

Sous les vieilles pierres, la Bible. Derrière les archéologues, les politiques cherchent à imposer une vision historique dans le maquis des périodes (hébreu, babylonienne, perse, hellène, romaine, arabe, croisée, ottomane...) qui se sont succédées sur ce lieu pour tenter de légitimer par le passé leur présence actuelle.

Dans un conflit où même le choix des mots peut signer une appartenance partisane (Esplanade des Mosquées pour les musulmans, Mont du temple pour les juifs), les plus militants de chaque camp s'opposent sur le fait de faire des fouilles dans les quartiers historiques. Côté israélien, certains essayent de prouver qu'une ancienne présence juive justifierait des droits aujourd'hui. Côté palestinien, on estime que toute recherche archéologique est immédiatement suspecte.


L'archéologue israélien Dan Bahat résume ainsi le conflit. «L'un des cas récents les plus retentissants est celui de la découverte d'Eilat Mazar. En 2005, elle a mis au jour sur la colline de la Cité de David un bâtiment public qui date du Xe siècle av. J.-C. Elle a affirmé qu'il s'agissait du palais de David. Or, elle n'en a aucune preuve. Déclarer que c'est un bâtiment public du Xe siècle aurait suffi. Ce que sa découverte a révélé, c'est que nous n'avons pas assez d'informations sur cette colline», affirmait-il à la revue L'Histoire.

87 morts en 1996
La question est loin d'être nouvelle. Des émeutes ont déjà secoué la ville en raison de fouilles jugées dangereuses par les Palestiniens. 2007, 2011... les explosions sont fréquentes (voire images de France 2 en 2007). «En 1996, quand Netanyahu était déjà Premier ministre, l'ouverture d'un tunnel archéologique le long de l'un des murs du site avait provoqué de violentes émeutes qui avaient fait 70 morts palestiniens et 17 tués chez les policiers israéliens», rappelait Le Figaro en 2011.

Dans la Vieille Ville, une zone échappe cependant à la recherche. Depuis qu'Israël a occupé et annexé en 1967 Jérusalem-Est, où se trouvent l'Esplanade des Mosquées et le Mur des Lamentions qu'elle surplombe, les lieux saints musulmans sont régis par le ministère jordanien des Biens religieux (Waqf). Conformément au «statu quo» hérité du conflit de 1967, l'Etat hébreu ne peut y mener de travaux – archéologiques ou de construction – sans l'accord d'Amman (Jordanie).

C’est dans le cadre de cette règle, qu’en septembre 2014, le Premier ministre Netanyahu a exigé le démantèlement d’une passerelle destinée aux non-musulmans, qui menait sur l’Esplanade des mosquées. Une passerelle construite par les Israéliens qui avait provoqué une polémique.

La question de l'Esplanade des Mosquées/Mont du Temple, ainsi que les questions religieuses ont toujours agité la société israélienne, comme le montre Charles Enderlin dans son blog. Au point que certains veulent construire un «troisième temple» sur l'espace de l'Esplanade des Mosquées.

Jérusalem avec au premier plan le Mur des Lamentations et au-dessus l'Esplanade des Mosquées avec le Dôme du Rocher (et sa coupole dorée). (AMANTINI-ANA/AFP)

La «cité de David»
Le ministère israélien de l'Intérieur a donné son feu vert au projet de construction d'un musée archéologique dans le quartier palestinien de Silwan, situé au pied de la vielle ville, dans la partie occupée de Jérusalem (Jérusalem-Est), théâtre aujourd'hui de très nombreux incidents en raison de l'installation de colons. Un musé géré par l’organisation israélienne Elad. Une association généralement classée très à droite.

Lobjectif d’Elad est explicite : «Révéler à la population le glorieux passé de l’Ancienne Jérusalem à travers quatre initiatives clés : les fouilles archéologiques, le développement touristique, les programmes éducatifs et la revitalisation résidentielle». «Elad veut démontrer par ces fouilles une présence historique juive à travers la découverte des restes de la «Cité de David», du roi du même nom», explique le site Orient XXI. Pour l'ONG palestinienne, Ma’an Development Center, citée par Orient XXI, «les fouilles archéologiques permettent aux colons de créer une continuité territoriale souterraine entre les sites situés dans des zones palestiniennes densément peuplées et dont ils prennent le contrôle en creusant des tunnels sous les maisons palestiniennes».

Associations israéliennes
L’Europe a d’ailleurs dénoncé certaines dérives. «Comme les années précédentes, le rapport des chefs de mission de l'Union européenne s'émeut de l'instrumentalisation de l'archéologie à des fins politiques et pointe la création de parcs nationaux dont l'une des finalités, souligne-t-il, est manifestement de rompre la continuité entre les quartiers palestiniens de la ville», notait Le Figaro.


En Israël même, la question des découvertes archéologiques peut faire polémique. Deux chercheurs se sont opposés sur l’importance à donner à certaines découvertes récentes quant à leur interprétation biblique. «Si les sponsors ont des intérêts politiques, cela ne veut pas dire que le travail archéologique n’est pas bon !», affirme Israël Finkelstein, en réponse à des critiques sur l’utilsation de l’archéologie. Le seul but du travail scientifique de l’archéologue consiste à «mieux comprendre le passé», insiste Josef Garfinkel. «Si d’autres abusent des résultats scientifiques, que peut faire l’archéologue ?»

Toujours en Israël, des associations se mobilisent contre toute exploitation de l'archéologie. Ainsi Ir Amin essaye de mettre en avant l'histoire commune de la ville. Une autre association israélienne, Emek Shaveh, affirme se pencher sur «l’archéologie dans l’ombre du conflit».

«Notre position fondamentale est qu’une découverte archéologique ne doit pas et ne peut pas être utilisée pour prouver la propriété par toute une nation, un groupe ethnique ou la religion sur un lieu donné», dit l'organisation. Une position qui ne semble pas partagée par tous.

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