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Gaza : quatre questions après la destruction par une frappe israélienne d’un immeuble abritant les bureaux d’Al-Jazeera et Associated Press

Les médias touchés ont fermement condamné le tir de samedi. L'armée israélienne justifie son action, dénonçant l'utilisation par le Hamas de ces médias comme "boucliers humains".

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'immeuble abritant les locaux des médias Al-Jazeera et Associated Press à Gaza est détruit par une frappe israélienne, le 15 mai 2021. (ALI JADALLAH / ANADOLU AGENCY / AFP)

Les images sont saisissantes. En quelques secondes, l'immeuble qui abritait les bureaux de la chaîne de télévision qatarienne Al-Jazeera et de l'agence de presse américaine Associated Press (AP) à Gaza s'est écroulé, samedi 15 mai. Après une frappe de l'armée israélienne, dans le cadre du conflit qui oppose l'Etat hébreu au Hamas, le bâtiment de 13 étages n'a pas résisté. Il avait été préalablement évacué, mais les images ont profondément choqué, jusqu'aux Etats-Unis, allié historique de l'Etat hébreu. 

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1Que s'est-il passé à Gaza ?

La tour Al-Jalaa, située à Gaza, a été visée samedi dans l'après-midi par une frappe de l'armée israélienne. Un tir qui intervient alors que l'Etat hébreu et les Territoires palestiniens sont en proie à de violents affrontements depuis plusieurs jours. Haute de 13 étages, l'immeuble abritait notamment les bureaux locaux de Al-Jazeera et AP. Les occupants de l'immeuble ont été prévenus en amont par les autorités militaires israéliennes qui, à la mi-journée, leur ont donné une heure pour évacuer les lieux.

L'agence AP signale avoir tenté d'alerter le gouvernement israélien (article en anglais) avant la destruction du bâtiment, en vain. Elle rapporte également que le propriétaire de l'immeuble a demandé à l'armée israélienne quelques minutes supplémentaires pour permettre aux journalistes de récupérer leur matériel, là encore sans succès.

2Pourquoi ce bâtiment a-t-il été visé ?

L'armée israélienne explique dans un tweet avoir "ciblé une base d'opérations importante pour les renseignements militaires du Hamas" en visant cette tour. Elle avance également la présence d'équipements militaires dans l'immeuble où les médias étaient, selon elle, utilisés comme "boucliers humains", rapporte l'AFP.

Par ailleurs, l'armée israélienne assure avoir laissé le temps aux civils pour évacuer, mais que "le Hamas et le Jihad islamique ont utilisé ce temps pour sortir des objets du bâtiment""L'argument selon lequel ce bâtiment serait utilisé par le Hamas ne me paraît pas crédible", confie pourtant à franceinfo Jean-Paul Chagnollaud, président de l'Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient. Il voit plutôt dans cette action une volonté israélienne "d'empêcher" la diffusion d'images des frappes en cours.

De son côté, Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), estime "plausible" qu'il y ait eu des équipements du Hamas dans l'immeuble. Pour tant, il est à ses yeux " totalement inadmissible de frapper des médias. Il en va de la liberté d’informer dans une situation de crise aiguë".

"Nous n'avions eu aucune indication sur la présence ou une activité du Hamas dans l'immeuble", a déclaré Gary Pruitt, directeur général d'AP dans un communiqué (en anglais). L'agence était basée dans ce bâtiment depuis quinze ans. Son patron rappelle que ses équipes "vérifient activement" et régulièrement la sécurité de leurs locaux : "Nous ne mettrions jamais nos journalistes en danger." Il évoque également plusieurs civils résidents de l'immeuble, qui, après la frappe, ont dû être relogés. "Cette frappe ne contribuera pas à rehausser l’image de l’Etat d’Israël au sein de l'opinion publique, image qui me semble de plus en plus dégradée", commente Didier Billion.

3 Quelles conséquences pour Al-Jazeera et AP ?

La chaîne d'information et l'agence de presse n'ont désormais plus de bureaux à Gaza. La direction d'AP s'est dite "choquée et horrifiée". "Nous avons évité de justesse de terribles pertes humaines, a souligné Gary Pruitt. Le monde sera moins informé sur ce qui se passe à Gaza à cause de ce qui s'est passé aujourd'hui."

Le directeur d'Al-Jazeera, Mostefa Souag, a pour sa part dénoncé des agissements à l'encontre du droit international : "La destruction des bureaux d'Al-Jazeera et de ceux d'autres médias (...) est une violation flagrante des droits humains et est considérée internationalement comme un crime de guerre." 

D'autres médias ont réagi à cette frappe : "L'AFP tient à exprimer toute sa solidarité avec les médias dont les bureaux ont été détruits à Gaza. Le droit à l'information doit être scrupuleusement respecté par toutes les parties à un conflit", a déclaré le PDG de l'AFP, Fabrice Fries. Les journalistes de l'agence française basés à Gaza accueilleront désormais dans leurs locaux leurs collègues d'AP et d'Al-Jazeera, a annoncé dimanche matin le directeur de l'AFP au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Sylvain Estibal.

4 Quelles sont les réactions de la communauté internationale ?

Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, assure avoir le soutien "sans équivoque" du président américain à propos des frappes sur la bande de Gaza. Joe Biden évoque toutefois des "inquiétudes au sujet de la sécurité des journalistes". Sa porte-parole, Jen Psaki, avance qu'il a été rappelé à Israël que "garantir la sécurité des journalistes et des médias indépendants était une responsabilité d'une importance capitale".

Ces rappels à l'ordre tranchent avec la position habituelle du pays, réputé pour son soutien sans faille à l'Etat hébreu. "Même Joe Biden ne peut pas laisser passer ça, insiste Didier Billion. Ça va trop loin, on n'aurait jamais accepté un tel comportement de la part d'un autre pays." La représentante démocrate américaine Alexandria Occasio-Cortez a dénoncé sur Twitter un acte ayant eu lieu "avec le soutien des Etats-Unis".

Alors qu'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU doit avoir lieu dimanche à 16 heures, les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne se réuniront mardi lors d'une visioconférence extraordinaire, "compte tenu de l'escalade en cours (...) et du nombre inacceptable de victimes civiles", a annoncé dimanche Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne. "Les dirigeants israéliens s’affranchissent du droit international depuis des décennies. Il y a des résolutions de l'ONU qui ont été votées, et qui ne sont toujours pas appliquées", rappelle Didier Billion.

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s'est dit "consterné" par le "nombre croissant de victimes civiles" et "profondément perturbé" par cette attaque contre un bâtiment abritant des médias.

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