Cisjordanie : cinq questions sur l'avis de la Cour internationale de justice, qui conclut que les colonies israéliennes en territoire palestinien sont illégales

L'instance judiciaire de l'ONU a de nouveau estimé que l'occupation croissante par Israël de territoires palestiniens depuis 1967 est contraire au droit international. Mais cet avis consultatif n'est pas légalement contraignant.
Article rédigé par Luc Chagnon
France Télévisions
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Des colons israéliens établissant un avant-poste illégal à Battir, en Cisjordanie occupée, le 8 juillet 2024. (ZAIN JAAFAR / AFP)

La politique d'Israël se heurte au droit international. Alors que l'Etat hébreu poursuit son offensive dans la bande de Gaza, son "occupation prolongée" de territoires palestiniens depuis 1967 est une nouvelle fois jugée "illégale" et doit cesser "le plus rapidement possible", selon les conclusions d'un avis consultatif rendu par la Cour internationale de justice (CIJ), vendredi 19 juillet.

Que dit précisément la CIJ, principal organe judiciaire de l'ONU, de ce sujet ? Comment justifie-t-elle sa décision ? Et quelles peuvent en être les conséquences ?

1 Que dit exactement la Cour internationale de justice ?

L'Assemblée générale de l'ONU avait demandé en décembre 2022 à la CIJ de se prononcer sur le statut de 337 territoires de Cisjordanie. Ces terres situées dans les territoires de l'Autorité palestinienne ont été appropriées sans concertation, et souvent avec violence, par environ 478 000 Israéliens, selon le décompte de l'ONG israélienne Peace Now.

Pendant la guerre israélo-arabe de juin 1967, Israël s'est emparé de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), alors annexée par la Jordanie, ainsi que d'autres territoires, dont la bande de Gaza.

La cour, qui siège à La Haye et juge les contentieux juridiques entre Etats, conclut après une analyse détaillée* que "la présence continue de l'État d'Israël dans le territoire palestinien occupé est illicite". Elle intime à Israël de "cesser immédiatement" sa présence et son "activité de colonisation" illicites, "d'évacuer tous les colons [israéliens] dans les plus brefs délais" et de "réparer le préjudice causé" à toutes les personnes affectées.

2 Comment la Cour justifie-t-elle sa décision ?

La CIJ rappelle que le droit international permet l'occupation d'un territoire dans certaines situations, mais seulement s'il s'agit d'"une situation temporaire répondant à une nécessité militaire", qui doit être "à tout moment conforme aux règles relatives à l'interdiction de la menace ou de l'emploi de la force (…) ainsi qu'au droit à l'autodétermination".

"La Cour estime qu'Israël n'a pas droit à la souveraineté sur quelque partie du territoire palestinien occupé et ne saurait y exercer des pouvoirs souverains du fait de son occupation", juge donc la CIJ. "Les préoccupations d'Israël en matière de sécurité ne sauraient non plus l'emporter sur le principe de l'interdiction de l'acquisition de territoire par la force", ajoute la Cour.

De nombreuses mesures prises par Israël dans les territoires occupés constituent également une forme "de discrimination systémique fondée, notamment, sur la race, la religion ou l'origine ethnique", en violation de plusieurs articles de pactes et conventions internationales contre les discriminations, rapporte l'instance.

3 Cette décision est-elle nouvelle ?

Non, elle confirme plusieurs jugements déjà pris depuis des décennies par différents organes internationaux. Depuis 1967, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une dizaine de résolutions pour condamner la construction de ces colonies. En 2016, le Conseil de sécurité de l'ONU avait, par exemple, dénoncé à l'unanimité (moins l'abstention des Etats-Unis) une "violation flagrante" du droit international, et réclamé à Israël de "mettre fin immédiatement et totalement" à la colonisation.

La CIJ elle-même avait déjà donné un avis consultatif* sur cette même thématique en 2004. Celui-ci aboutissait à la même conclusion, "à savoir que les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et le régime qui leur est associé ont été établis et sont maintenus en violation du droit international". Cette politique est également contraire à la quatrième convention de Genève, qui définit le droit de l'occupation, a souligné auprès de France Télévisions François Dubuisson, professeur en droit international.

4 Quelles sont les conséquences possibles de cette décision ?

La déclaration de la CIJ n'est qu'un avis consultatif, et n'est donc pas accompagnée de sanctions ou de mesures préventives. En revanche, la CIJ appelle les Etats et les organisations internationales à ne pas fermer les yeux en considérant que les colonies sont licites, malgré tous les éléments pointant vers le contraire.

"Tous les Etats" et "les organisations internationales (…) sont dans l'obligation de ne pas" soutenir l'occupation israélienne dans les territoires palestiniens occupés. La Cour intime enfin à l'ONU d'examiner les mesures possibles "pour mettre fin dans les plus brefs délais" à cette présence israélienne.

5 Comment a réagi la communauté internationale ?

La présidence de l'Autorité palestinienne a qualifié l'avis d'"historique"."C'est un grand jour pour la Palestine", s'est félicitée Varsen Aghabekian Chahine, ministre déléguée aux Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne. La CIJ "a présenté une analyse très détaillée de ce qui se passe à travers l'occupation et la colonisation prolongées par Israël du territoire palestinien, en violation du droit international", a-t-elle ajouté.

"Les Juifs ne sont pas des occupants sur leur propre terre", a réagi le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou dans une réaction partagée par le bureau du Premier ministre. "Aucune décision mensongère à La Haye ne peut déformer la vérité historique" et "la légalité des colonies israéliennes" ne "peut pas être contestée", a maintenu le chef du gouvernement, qui a déjà contesté la légitimité des discussions à la CIJ. 

L'Union européenne a salué dans un communiqué une décision de la CIJ "qui correspond largement aux positions de l'UE, elles-mêmes pleinement alignées avec les résolutions de l'ONU". "Dans un monde de violation constantes et croissantes du droit international, il est notre devoir moral de réaffirmer notre respect de toutes les décisions de la CIJ", ajoute le bloc.

* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers un document PDF.

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