Trois questions sur le feu vert finalement donné par la Turquie pour l'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'Otan
Ankara a obtenu de nombreuses concessions de la part d'Helsinki et de Stockholm, notamment en matière de lutte contre des organisations classées terroristes par la Turquie.
Un feu vert, mais à quel prix ? Après plusieurs semaines de négociations, la Turquie a fini par lever son veto à l'entrée de la Finlande et de la Suède dans l'Otan, mardi 28 juin. L'annonce a été faite à la veille d'un sommet de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord à Madrid, consacré à l'Ukraine et pendant lequel le processus d'adhésion des deux pays nordiques sera lancé. Ankara accusait jusqu'à présent Stockholm et Helsinki d'abriter des militants de l'organisation kurde PKK, que la Turquie considère comme une organisation "terroriste". Explications.
1Pourquoi la Turquie bloquait-elle l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Otan ?
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, reprochait à ces deux pays d'abriter des membres du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan. Le PKK, qui milite pour l'autonomie du Kurdistan turc, est classé comme organisation terroriste par la Turquie, les Etats-Unis et l'Union européenne, mais pas par la Suède ni par la Finlande. Stockholm a notamment accueilli depuis 1980 de nombreux réfugiés politiques, "dont une bonne partie est soupçonnée par la Turquie d'être des militants du PKK", expliquait en mai Elise Massicard, spécialiste de la sociologie politique de la Turquie contemporaine, à France 24.
Surtout, Ankara accusait les deux pays de n'avoir approuvé, au cours des cinq dernières années, aucune des demandes d'extradition des personnes qu'elle accuse d'être membres d'organisations terroristes, notamment de partisans du prédicateur Fethullah Gülen, soupçonné d'avoir orchestré une tentative de coup d'Etat en juillet 2016. Enfin, le président turc réclamait la levée de l'embargo sur les ventes d'armes à la Turquie, imposé en 2019 par la Suède, la Finlande et plusieurs autres pays, après l'offensive d'Ankara contre des militants kurdes en Syrie.
2Quelles concessions Ankara a-t-elle obtenues ?
"La Turquie a obtenu ce qu'elle voulait", c'est-à-dire la "pleine coopération" des pays nordiques contre le PKK et ses alliés, a déclaré la présidence turque dans un communiqué. Dans les faits, la Suède et la Finlande ont signé un mémorandum* trilatéral, dans lequel elles s'engagent "à soutenir totalement la Turquie contre les menaces à sa sécurité nationale". Les deux pays, qui ont accordé de nombreuses concessions à Ankara, y affirment notamment que le PKK "est une organisation terroriste" et s'engagent à "lutter contre les activités du PKK".
La Suède et la Finlande promettent également de mettre en place "un accord d'extradition avec la Turquie" et d'examiner "de manière rapide et approfondie (...) les demandes de déportations ou d'extraditions de la Turquie qui sont en attente", à condition qu'elles respectent "les traités européens", rapporte le site d'actualité européen Politico*. Les deux pays s'engagent aussi à "ne pas apporter d'aide" aux Unités de protection du peuple (YPG), une milice kurde en Syrie, ou au mouvement associé à Fethullah Gülen, Fetö. Ankara a d'ailleurs annoncé son intention, mercredi, de réclamer à la Finlande et à la Suède l'extradition de 33 personnes.
3Quelles sont les réactions à cet accord ?
Le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, s'est félicité de l'accord, jugeant que l'organisation envoyait "un message au président Poutine", relève Bloomberg*. Il a ajouté que si le chef d'Etat russe "voulait moins d'Otan, il en a finalement plus, à ses frontières". Les Etats-Unis ont, eux aussi, salué la levée du veto turc. Pour le Premier ministre britannique, Boris Johnson, l'adhésion des deux pays nordiques va rendre l'Alliance "plus forte et plus sûre".
La Première ministre suédoise, Magdalena Andersson, a salué une "étape très importante pour l'Otan". Mais de nombreuses réactions indignées se sont fait entendre dans son pays. L'accord inquiète notamment la communauté kurde du pays, qui compte près de 100 000 personnes. "Le gouvernement sacrifie les Kurdes de Suède pour devenir membre de l'Otan", s'est ainsi scandalisée la députée socialiste Linda Snecker, citée par Le Monde.
Le président finlandais, Sauli Niinistö, semblant anticiper des réactions négatives, a quant à lui affirmé dans un communiqué* que, malgré l'accord, "la Finlande continue naturellement de fonctionner conformément à sa législation nationale", notamment en matière "de lutte contre le terrorisme, d'exportations d'armes et d'extraditions".
* Les liens suivis d'un astérisque sont en anglais.
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