Orlando, Nice, Munich : «islamisation de la folie» et «opportunisme» de Daech
36 heures de flottement. Ce sont eux ou pas ? Eux, pronom personnel qui renvoie, dans ce cas, aux djihadistes de Daech. Les journalistes du monde entier étaient devant un dilemme : comment parler de l’attentat de Nice le 14 juillet 2016 sans lui donner un sens, aussi macabre soit-il ? Acte d’un homme qui a basculé dans la folie en emmenant dans sa course à la mort le plus de victimes ou un attentat d’un «loup solitaire» de Daech ? Après 36 heures, l’organisation jihadiste décide, via son agence Amaq, de revendiquer l’attentat avec une sémantique inusuelle.
Communication opportunisteLe ministre allemand de l'Intérieur établit une corrélation entre aliénation et et terrorisme. Selon lui, l'attaque dans un train commise par un jeune homme de 17 ans «tait peut-être un cas liant la folie au terrorisme». Le procureur de Paris, François Molins, dresse un portrait du tueur de Nice, loin des profils des frères Kouachi, d’Amedy Coulibaly ou encore des auteurs du massacre du Bataclan. Mohamed Lahouaiej Boulhel est un homme «très éloigné des considérations religieuses, ne pratiquant pas, mangeant du porc, buvant de l'alcool, consommant de la drogue et ayant une vie sexuelle débridée».
La rupture dans la communication de Daech est intervenue après l’attentat de Nice. L’organisation djihadiste a plus adopté que revendiqué le massacre avec un camion poids lourd. Tout comme l’attaque à la hache du train allemand.
A ce stade des enquêtes en France et en Allemagne, rien ne permet de faire le lien entre l'Etat islamique et les auteurs des attentats. «La manière dont l'EI a revendiqué ces attaques suggère l'absence d'implication opérationnelle directe», affirme Aymenn al-Tamimi, expert sur le djihadisme au centre de réflexion américain Middle East Forum (lien en anglais). Les responsables de ce genre d'attentats ne deviennent des «soldats du califat» qu'après leur passage à l'acte, et après leur décès dans les cas d'Orlando et de Nice.
Islamisation de la folie
Dans un post au vitriol sur Facebook, l'écrivain Patrick Chamoiseau parle d'«islamisation de la folie» : «(...) nous assistons à une «islamisation» des naufrages individuels, des précarités sans horizon et des fragilités psychiques. On n’est pas en échec, on est islamisé. On n’est plus insignifiant, on est islamisé. On n’est plus malade, on est islamisé... Autour du phénomène, Daech (ses spectres, son brouillard magnétique, ses ombres labiles et ses reflets) n’a plus qu’à jouer la mouche du coche, nourrissant ainsi (en une boucle infernale) les curées médiatiques, les émotions obsidionales, les régressions sécuritaires, et... l’islamisation de toutes les rancœurs».
Toutes les rédactions du monde sont confrontées à la même équation insoluble : la réactivité et le recul, l'information brute et l'analyse. Le silence de Daech pendant 36 heures a semé la confusion, sa revendication/adoption ajoute du flou au flou. De la complexité du «Breaking news», avide d'émotion. Le temps médiatique n'est pas celui de la justice, des services de renseignement... et de l'enquête journalistique. Daech en est-il réduit, selon une formule d'un internaute très partagée, à être «la voiture-balai de tous les déséquilibrés», fussent-ils homo ou bisexuels, ces personnes jetées depuis le haut des immeubles dans les fiefs djihadistes de Raqqa et de Mossoul ?
Fuite en avant. Plus il perd du terrain, plus il occupe le créneau d'Al Qaida, l'internationalisation du terrorisme. Selon Washington, l'EI a perdu en Irak et en Syrie respectivement près de 50% et de 20% à 30% des territoires conquis à son apogée en 2014. Si Daech «a perdu sa capacité à conserver de grands pans de territoire, il n'a pas perdu sa capacité à mener des attaques opportunistes», observe Michael Weiss, du centre Atlantic Council.
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