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Que deviennent les combattants de Daech emprisonnés en Irak?

L’Irak est sur le point de remporter la bataille contre Daech. L’heure est à l’épuration. Car dans leur retraite, les djihadistes se fondent dans la population. Qui a collaboré de près ou de loin avec les islamistes ? Une tâche énorme attend une justice irakienne qui manque de moyens.
Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Un homme soupçonné d'appartenir à Daech est interrogé par les forces spéciales à Mossoul en novembre 2016. (REUTERS/Goran Tomasevic)

La scène se passe fin mars 2017 à Qaraqosh, au sud-est de Mossoul. Là, dans une villa banale, le régime irakien rend la justice. Une vingtaine d’hommes descendent d’un gros camion blindé. Les mains liées dans le dos et les yeux bandées. Ils sont soupçonnés d’appartenir à Daech.
 
«Nous avons une liste de 38.000 personnes recherchées pour terrorisme dans tout le pays», indique le major Ahmad al Obeidi de la police nationale irakienne. «Nous savons qui ils sont.» Dans Mossoul reprise quartier par quartier, juste derrière la ligne de front, les services de renseignement sont actifs. Chaque homme en âge de combattre, quittant la ville, est interrogé.

Mais tous les membres de Daech ne portent pas d’armes, bien au contraire. Les combattants ne se rendent pas. Soit ils meurent au combat, soit ils se glissent au beau milieu de la population. Et dénicher les milliers de collaborateurs, supporteurs et hommes de main de l’EI au milieu des civils fuyant les combats est une sacrée gageure pour les forces de sécurité.

Des  milliers de suspect 
Pour seule arme, les agents possèdent un ordinateur portable qui dispose d’une impressionnante base de données de suspects. Un individu peut se retrouver sur cette liste de plusieurs manières. Les services secrets irakiens profitent d’un réseau d’informateurs dans les territoires contrôlés par Daech. Les habitants des zones libérées viennent parfois spontanément donner des noms de voisins au comportement suspect. On trouve aussi sur la liste d’anciens détenus de la prison de Badoush, remis en liberté par l’EI en 2014. Des centaines de prisonniers qui, pour la plus part, on rejoint Daech.
 
Capturer un suspect est une chose, savoir quoi en faire est un autre problème conséquent. Les institutions irakiennes sont sous pression. Mais même au beau milieu de la guerre, les tribunaux jugent des terroristes. Dès leur capture, les suspects font face aux juges. Ce n’est pas pour autant que la justice passe aisément. Ic, les juges portent des pseudonymes afin d’éviter les possibles représailles.

  (REUTERS/Goran Tomasevic)

Quant au travail, il est rendu particulièrement difficile en raison du chaos qui règne dans le pays. Faute d’informations, les juges ont du mal à prouver l’appartenance d’un homme à Daech. Le juge Abu Iman témoigne : «Une fois on avait deux chauffeurs de camions citerne qui venaient d’une zone tenue par Daech. On nous a dit que c’était des espions. On les a gardés 8 mois, mais faute de preuves, on a dû les relâcher.»

Aucun suspect ne se revendique de Daech bien sûr. Pour prévenir les abus, une loi d’amnistie a été votée en 2016. Depuis, celui qui peut démontrer qu’il a été enrôlé de force et n’a pas commis de crimes, est relaxé. 800 suspects ont bénéficié de cette mesure. Aussi devant le juge, tous déclarent avoir agi sous la contrainte, ou pour manger. Personne ne se reconnait d’activité militaire. Au pire, les accusés reconnaissent avoir exécuté des tâches subalternes. «90% de ces prisonniers mentent», lâche Abu Iman. «Mais la plus part de ceux que j’ai interrogés seront libérés», ajoute-t-il.

Soupçons de torture 
En deux mois, le juge a vu passer 200 suspects devant lui. La lenteur de la procédure inquiète l’ONG Human Rights Watch. «Vu le nombre de détenus et le peu de gens jugés, il y a de fortes chances pour que beaucoup ne passent pas par ce canal,» déclare Belkis Wille un responsable de l’ONG. En clair des disparus, victimes d’interrogatoires. Car le système accusatoire irakien repose sur les aveux, tant il est impossible de collecter des preuves. La porte ouverte à la torture.
 
L’Irak aura besoin d’aide pour régler le dossier des crimes de Daech. L’appareil judiciaire est totalement débordé. Les viols, les crimes contre l’humanité, le génocide devraient relever de la cour internationale de justice de La Haye. Le droit à la justice revendiqué par les victimes relève plus du vœu-pieux. Et que dire des indemnités que l’Etat a promis de verser ? Certes, la population concernée vient constituer des dossiers. Mais nul ne connait le montant des indemnités, ni quand elles seront versées. Si seulement elles le sont un jour…

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