Les nouvelles méthodes des passeurs pour rançonner toujours plus les migrants
Ces trafiquants ont changé de tactique et d'échelle pour que leur business soit encore plus lucratif.
Les deux cargos laissés à la dérive fin 2014 et début 2015 au large de l'Italie, avec au total plus de 1 200 migrants à leur bord, montrent que les trafiquants ont changé de tactique. Aux canots de pêche et autres frêles embarcations, ils préfèrent désormais entasser plusieurs centaines de personnes dans des vieux navires destinés au fret ou au transport de bétail, qu'ils abandonnent en pleine mer pour échapper aux autorités, mettant la vie des passagers en péril.
L'agence européenne Frontex (en anglais) estime qu'un convoi entre la Libye et l'Italie avec 450 migrants à bord rapporte environ un million d'euros aux passeurs, mais cette somme peut aussi tripler. Francetv info vous explique comment fonctionne cette économie illicite très lucrative, que l'Europe peine à endiguer.
Ils ciblent désormais les zones de conflit
Plus de 207 000 personnes ont entrepris la traversée de la Méditerranée en 2014, selon l'Agence des nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Et pour la première fois, les migrants fuyant des pays en guerre ou des régimes dictatoriaux, comme la Syrie et l'Erythrée, sont majoritaires. Il s'agit de réfugiés de guerre, plus que de migrants économiques, que les pays voisins sont de plus en plus réticents à accueillir. "Les Syriens fuyant les bombes partent avec femmes et enfants. Issus des classes moyennes, ils disposent de ressources financières plus importantes que les autres migrants. [Ils peuvent être] médecins, ingénieurs, commerçants. (...) Les passeurs en profitent pour augmenter les tarifs", détaille Mediapart (article payant). La traversée de la Méditerranée peut ainsi s'élever à 6 000 euros par tête sur un cargo, d'après les estimations de Frontex.
Ils sont devenus des hommes d'affaires
S'il est parfaitement illégal, ce business repose néanmoins sur une stratégie économique digne d'une compagnie aérienne à bas coût : des "services" supplémentaires très chers. Un trafiquant tunisien arrêté en Sicile a détaillé au Daily Beast (en anglais) quelques-uns des "suppléments" proposés aux migrants, à des prix exorbitants. De l'eau et du thon en boîte atteignent 100 dollars, tandis que gilets de sauvetage et couvertures valent 200 dollars à bord de ces bateaux surchargés. Pour voyager sur le pont du cargo, "en première classe", comme l'appelle Karim El-Hamdi, c'est au moins 200 dollars de plus et 300 dollars pour un appel grâce au téléphone satellite. "Les Syriens achètent tout. Cela a poussé les trafiquants à proposer plus", explique-t-il.
Un autre passeur assure au Guardian (en anglais) : "Je ne suis pas un criminel, j’offre un service." C'est oublier notamment les violences subies par les passagers, dont certains racontent avoir été battus, quand d'autres évoquent des passagers poignardés et jetés par-dessus bord, rapporte Frontex.
Ils achètent des vieux cargos sur internet
L'âge des deux cargos à la dérive au large d'Italie, l'Ezadeen, immatriculé en Sierra Leone, et le Blue Sky M, battant pavillon moldave, était de plus de 40 ans. Outre les canots de pêche, les réseaux de trafiquants utilisent de plus en plus des cargos d'occasion ou des bateaux attendant la casse. Ils leur permettent de transporter plus de migrants bien sûr, mais surtout de tromper les garde-côtes qui patrouillent aux frontières maritimes. "Ces bateaux - parfois pourvus d'équipage russe - sont chers et difficiles à trouver, mais la demande est très élevée (....), évoque Antonio Saccone, responsable des études à Frontex. Cela montre à quel point ces filières sont devenues puissantes et sophistiquées."
Ces vieux bateaux sont vendus partout dans le monde, "ce qui est légal", affirme à l'AFP David Olsen, expert du journal maritime Lloyd's List. "Ils sont vendus sur des sites internet et même sur Ebay". Ces cargos valent "moins que le prix d'un appartement à Londres". En effet, sur plusieurs sites, francetv info a trouvé des listes de cargos à vendre : des navires de 80 mètres de long, pour moins d'un million de dollars, immatriculés à Panama, en Serbie, ou même en Norvège.
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