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Le Coran et la crise d'identité des musulmans

Nombre de musulmans se réfèrent au Coran pour justifier leur colère vis-à-vis d’un film islamophobe ou des caricatures de Charlie-Hebdo. Mais que dit le Livre saint de l’islam, rédigé au VIIe siècle ? Les réponses de l’anthropologue des religions Malek Chebel, qui l’a traduit.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Un musulman en train de lire le Coran (8-8-2012) (AFP - ANP XTRA - ROOS KOOLE )

«Le Coran est un livre complexe du VIIe, rempli de symboles. Une exégèse est indispensable pour qu’il soit compréhensible. Car on ne le lit pas de la même façon que l’on soit paysan du Nil ou docteur de l’université al-Azhar au Caire [une des principales de l’islam, NDLR], que l’on soit riche ou pauvre», explique l’anthropologue, qui a lui-même signé un Dictionnaire encyclopédique du Coran.

Le Livre saint ne peut donc exister qu’interprété. Dans ce contexte, grosso modo deux camps s’affrontent. «Selon les fondamentalistes, il faut lire le Coran à la lettre, sans esprit critique, et de manière définitive. Le texte doit être compris de manière immuable. Par exemple, les marabouts du Mali sont une déviation par rapport à la doxa. Mais il y a aussi ceux qui considèrent que le Coran n’échappe pas à la modernité, que toutes les époques ont à l’interroger pour l’adapter. A leurs yeux, il faut utiliser la raison humaine pour le mettre en perspective», constate Malek Chebel.

La raison et l’esprit critique sont en effet indispensables pour ce travail d’interprétation. «Car si on le lit de manière littérale, tous les éléments qui font sursauter les Occidentaux figurent effectivement dans le texte du VIIe siècle : les châtiments corporels, la Guerre sainte, la polygamie…». Des éléments qui s’inscrivent évidemment dans une période donnée, très différente de la nôtre.

Conséquence : la modernité est requise pour les replacer dans leur contexte. On évite ainsi de les lire et de les interpréter de manière littérale. «Pour les vols, par exemple, on ne peut pas couper la main à tous les voleurs. Il faut comprendre le châtiment de manière symbolique et savoir l’adapter aux réalités», explique l’anthropologue.

Le Coran, aux origines du Livre


Arte, 16-5-2010

Evidemment, ces deux interprétations sont difficilement compatibles. «Les échanges sont saignants entre ceux qui les défendent», raconte Malek Chebel.  

La fin du califat
Au-delà, reste à comprendre pourquoi le Coran trouve autant d’écho dans les manifestations actuelles de musulmans. Pour son traducteur, l’islam est actuellement «pris dans une sorte de crise à trois niveaux». «En premier lieu, une crise existentielle : les croyants ne trouvent pas de réponses à leurs questions en ces temps de crise. Ensuite, une crise de pouvoir, qui alimente toute les rivalités : de pays à pays et de région à région, riches contre pauvres, sunnites contre chiites. Les 1,3 milliard de sunnites se croyaient les maîtres du monde. Aujourd’hui, ils sont concurrencés par les 200 millions de chiites. Enfin, il y a une crise islam-Occident. Le premier percevant le second comme une nébuleuse complexe et hostile qu’il ne connaît pas».

La crise survient alors que la parole des musulmans s’est libérée notamment depuis l’abolition (en 1924 par Mustapha Kemal) du califat, successeur de Mahomet, investi du pouvoir spirituel et temporel, pense l’anthropologue. «Le calife jouait un peu le rôle du pape. Avec la fin de ce système a été aboli une référence majeure, unique, d’où venaient les réponses aux questions que l’on se posait», raconte Malek Chebel. Dans le même temps, on voit s’effacer des institutions majeures comme l’université al-Azhar qui, il y a encore peu, était une voix théologique majeure. «Peu à peu, elle est devenue la voix de son maître, notamment à l’époque Moubarak. Ses jugements ont dérivé. Un de ses représentants a ainsi justifié l’excision».

Résultat : «Il n’y a plus de parole fédératrice dans l’islam et la parole est descendue dans le peuple. Mais celui-ci ne reçoit plus de réponses à ses questions et ne peut qu’exprimer son désarroi». Qu’il exprime parfois de manière violente…

Jeunes garçons en train d'étudier le Coran au Bahrein pendant le ramadan (1-8-2012) (AFP PHOTO/MOHAMMED AL-SHAIKH )
 
Parmi les ouvrages de Malek Chebel
Le Coran, Fayard (2009)
Dictionnaire encyclopédique du Coran, Fayard (2009)
Dictionnaire amoureux de l’islam, Plon (2004)

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