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Japon: le Petit Poucet de la presse a 65 ans et toutes ses dents

A l’heure d’internet où l’on prédit la mort prochaine des journaux papiers, il en est un qui résiste contre vents et marées à la sinistrose, tel Astérix dans son village gaulois : à Ishinomaki, dans la péninsule d’Oshika (nord-est du Japon), le «Oshika Shimbun» trace son sillon sans dévier depuis 1949. Avec son unique page recto-verso noir et blanc. Et son millier d’abonnés.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Toshio Hiratsuka, fondateur-propriétaire-rédacteur en chef et unique journaliste du Oshika Shimbun depuis 65 ans, en tournée à Ishinomaki le 10 mars 2014. (AFP - Miwa Suzuki )

L’unique journaliste et accessoirement fondateur du Oshika Shimbun (mot-à-mot le quotidien d’Oshika), Toshio Hiratsuka, a aujourd’hui 89 ans. Et depuis 65 ans, il continue à traquer l’information dans sa bonne ville d’Ishinomaki. Tout le monde connaît sa frêle silhouette perchée sur son vélo, ses cheveux blancs sagement peignés en arrière.

Toute la semaine, du lundi au jeudi, muni de son stylo et de son carnet, il recherche donc ce qui intéresse son lectorat. «And all the news that’s fit to print» («toutes les informations bonnes à imprimer»), comme l’on dit au New York Times. Tout : c'est-à-dire la quantité de poissons ramenés par les pêcheurs au port, l’élection de miss Ishinomaki, les deux renards apparus récemment dans un parc désert, les conseils municipaux… Autant dire qu’aucun potin ni chien écrasé n’échappe à Toshio Hiratsuka.

Pour tout savoir, il n’omet jamais de se rendre au commissariat de police où il note très consciencieusement les incidents qui secouent la ville. Le pire sur lequel il a écrit récemment : l’histoire d’un conducteur qui a embouti un poteau téléphonique et s’est enfui sans demander son reste. Evidemment, cette quête quotidienne est fatigante pour le presque nonagénaire journaliste-rédacteur en chef: «Je suis quand même content lorsque le jeudi soir arrive», explique-t-il.

L’aventure de Toshio Hiratsuka a débuté au lendemain de la Seconde guerre mondiale et de la capitulation du Japon. A 24 ans, il revient dans sa ville natale, Watanoha. Entreprenant, le jeune homme fonde alors avec un associé le Shukan Watanoha (mot-à-mot le Watanoha hebdomadaire). «J’étais jeune. Je travaillais fiévreusement jour après jour», raconte-t-il. Mais l’associé reprend sa liberté. Seul le nom du journal change : le Shukan Watanoha devient le Oshika Shimbun.

Le micro-quotidien est le témoin du retour à la vie normale après la guerre. En 1950, il rend ainsi compte de l’élection de la première Miss Watanoha. Et en 1959, il raconte comment Watanoha est absorbée par la ville d’Ishinomaki.

Toshio Hiratsuka écrit ses articles à la main. Mais le Oshika Shimbun n'est pas complètement réfractaire au progrès: désormais, la belle-fille du fondateur tape les papiers sur ordinateur avant de les mettre en page. Le beau-père suit attentivement le processus de fabrication du quotidien, comme ici le 10 mars 2014. (AFP - Miwa Suzuki )

Tsunamis
La petite histoire peut aussi parfois rencontrer la grande. En 1960, le journal écrit sur un tsunami, une vague de 30 mètres de haut provoquée par un séisme au Chili, qui traverse le Pacifique pour venir frapper Ishinomaki.
 
Le 11 mars 2011, un second tsunami de 20 mètres de haut s’abat sur la ville, port de pêche qui compte aujourd’hui 165.000 habitants. 4000 personnes sont tuées (sur les quelque 18.000 victimes de la catastrophe). La petite imprimerie du Oshika Shimbun est ravagée. Sonné, Toshio Hiratsuka doit fermer les portes de son quotidien. «Et puis, énormément de gens sont venus me voir pour savoir quand j’allais reprendre la publication. Je me suis dit qu’un journal, ça ne peut pas s’arrêter. D’autant que moi, je suis de la vieille école !», explique le reporter.

Aujourd’hui, le Oshika Shimbun, dont chaque exemplaire coûte la somme de 400 yens (l'équivalent de 2,90 euros), est devenu une affaire de famille. Et s’est (un peu) modernisé. La belle-fille du fondateur tape ainsi sur ordinateur les articles que ce dernier continue à écrire à la main. Elle les met en page (avec quelques photos et pubs) sous l’œil attentif du beau-père. L’impression est assurée par le fils. Tandis que son épouse de 74 ans et leur petit-fils participent à la distribution.
 
Bref, le Oshika Shimbun a su résister à toutes les vagues. Venues de la mer ou de la terre. Il se joue ainsi de la concurrence effrénée des monstres de la presse quotidienne papier, avec leurs deux éditions par jour. A titre d’exemple, le Yomiuri Shimbun tire à 14 millions d’exemplaires par jour, record du monde …
 
«Le Oshika Shimbun, lui, il raconte des histoires. Il parle de nous», raconte Koji Takahashi, 84 ans, l’un de ses plus fidèles lecteurs. Et que l’on se rassure : ceux qui déménagent peuvent recevoir la publication par la voie électronique…   

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