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Etre ministre et noire en Italie, un combat perpétuel

Des mannequins maculés de sang et un slogan : "L'immigration, c'est le génocide des peuples." L'Italienne d'origine congolaise Cécile Kyenge a été à nouveau la cible d'actes racistes. Portrait d'une immigrée devenue ministre.

Article rédigé par Pauline Hofmann
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La ministre de l'Intégration italienne, Cécile Kyenge, lors d'une conférence de presse à Rome (Italie), le 19 juin 2013. (TONY GENTILE / REUTERS)

Cécile Kyenge a gardé de ses origines congolaises un léger accent quand elle parle italien. Un détail suffisant pour les racistes de la politique italienne, dont la première femme noire à devenir ministre dans le pays est devenue la cible favorite. Mercredi 4 septembre, pour la énième fois, elle a dû faire face à une attaque xénophobe. Des mannequins maculés de sang ont été déposés par des militants du parti d'extrême droite italien Forza Nuova devant un bâtiment administratif à Rome (Italie). Sur des tracts portant l'emblème du parti, éparpillés autour des mannequins, était écrit : "L'immigration, c'est le génocide des peuples ! Kyenge démission !" 

Comme toujours, la ministre persiste dans son flegme habituel, ne souhaitant pas s'arrêter à des attaques "contre une institution", rapporte le quotidien italien La Repubblica (en italien). Mi-juillet 2013, quand le vice-président du Sénat italien, Roberto Calderoli, l'a comparée à un orang-outan, elle avait alors simplement et dignement accepté ses excuses dans une interview à La Repubblica (vidéo en italien)

Une fois seulement depuis sa prise de fonction fin avril, le vase a débordé. Le 26 juillet 2013, des bananes sont jetées sur la scène où elle tient un discours. Cette attaque a été celle de trop et Cécile Kyenge a demandé le 30 juillet à Roberto Maroni, le fondateur de la Ligue du Nord, un parti populiste et xénophobe, de tenir ses militants.

Même menacée de mort, elle reste en poste

Elle demeure persuadée que toutes ces agressions ne sont pas dirigées contre elle personnellement, "mais envers chaque citoyen", explique-t-elle à TV5 Monde. Ainsi, elle ne "s'attriste" des propos de Roberto Calderoli que parce que quelqu’un qui "représente une institution, qui représente un pays, devrait avoir un langage différent de celui qui a été utilisé." Pour Cécile Kyenge, ce type de comportement est une adaptation quasi-normale d’un pays d’émigration à une situation récente d’immigration. "Il faut être conscient que dans chaque changement de la société, il faut des sacrifices."

Les attaques verbales sont cependant le cadet de ses soucis. Menacée de mort, elle ne se déplace plus sans escorte policière. Dans un entretien à la BBC Afrique, la ministre de l'Intégration fait savoir qu'elle n'a "jamais pensé à quitter son poste et [n’y pensera] jamais."

A son arrivée dans le gouvernement fin avril 2013, Enrico Letta, le président du Conseil, a fait d’elle le symbole d’une double ouverture : une ouverture à l’immigration et à la société civile. Quasi-novice de la politique (son engagement date d’il y a "seulement" dix ans), Cécile Kyenge n'en impose pas moins ses priorités au gouvernement, en dépit d'un charisme limité. Devant les médias, elle semble timide, s'exprime d'une voix monocorde.

Une bataille pour être italienne

Son cheval de bataille, c’est le ius soli, le droit du sol pour les immigrés. Pour elle, les enfants de deuxième génération, nés en Italie, doivent obtenir la nationalité automatiquement. Elle entend également décriminaliser l’immigration clandestine. Ces propositions passent mal auprès des membres du Peuple de la liberté (droite). Les députés de la droite berlusconienne ont menacé de se retirer de la coalition si le gouvernement s’entêtait dans ces projets de loi.

Mais l’ancienne ophtalmologue arrivée en Italie à l’âge de 18 ans n’entend pas pour autant abandonner son projet, même si son ministère n'a pas de portefeuille. Arrivée de République démocratique du Congo en 1983 pour suivre des études de médecine, elle s’engage pour la cause de migrants avant d’entrer en politique. Elle ne quittera pas ce militantisme jusqu’en 2012, où elle tient la barre du mouvement du Premier mars, expliqué ici par La Repubblica (en italien). Les sympathisants de cette action ont organisé une grève des immigrés en Italie, à l’instar de leurs homologues français et suisse, pour montrer leur place dans la vie économique du pays. L’Emilie-Romagne, région d’adoption de Cécile Kyenge, a particulièrement suivi cette marche.

Attachée à l'Afrique

Elle-même a longuement bataillé pour obtenir un passeport italien. Ce n'est qu'après son mariage dans les années 90 qu’elle devient citoyenne italienne. Un souvenir que lui a rappelé l’ancien sénateur de la Ligue du Nord, Erminio Boso : "Qui l'a dit, qu’elle est italienne ? Sa nomination a été une grande connerie."

Cette femme de terrain a gardé un attachement revendiqué au continent africain, selon Jeune Afrique. Elle évoque régulièrement ses origines tout comme son histoire familiale. Comme le rapporte sur son blog Philippe Ridet, correspondant du Monde en Italie, elle a parlé de la polygamie de son père congolais, sûrement sans songer aux conséquences. Cette maladresse alimente les fantasmes des complotistes xénophobes d'Italie et d'Europe, qui font courir le bruit que la ministre voudrait réinstaurer la polygamie en Italie... Une autre attaque à laquelle Cécile Kyenge n'a pas répondu.

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