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Sous la guerre contre Daech un remodelage des frontières de la région se profile
De la prise de Dabiq à l’offensive contre Mossoul puis à l’attaque programmée contre Raqqa, la lutte contre Daech se déroule le long de frontières encore invisibles. Celles qui doivent prendre le relais du dépeçage de l’Empire ottoman par les accords de Sykes-Picot de 1916 et le traité de Sèvres de 1920. Contrairement à ces accords, le tracé se fait cette fois-ci à vif directement sur le terrain.
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Lorsqu’il a lancé fin août son opération «Bouclier de l’Euphrate» en intervenant directement au sol dans le nord de la Syrie, le président Erdogan avait un double objectif : sécuriser sa frontière Sud en chassant les djihadistes de l'EI de la zone et empêcher les Kurdes de Syrie d’étendre le territoire sous leur contrôle.
Le président Turc Erdogan veut sécuriser ses frontières
Qualifiée de victoire «stratégique et symbolique» par le porte-parole du président turc, la prise de la ville de Dabiq par des rebelles syriens soutenus par Ankara, le 16 octobre 2016, assure désormais la sécurité à la frontière «de Kilis à Karkamis» et élimine la menace de tirs de roquettes sur la Turquie selon l’armée.
C’est animé de ces mêmes soucis, du côté de la frontière avec l’Irak, que le président Erdogan est à nouveau intervenu après le déclenchement de la grande offensive contre Mossoul par le Premier ministre irakien Haïdar al Abadi.
Appuyés par les bombardements aériens de la coalition internationale mise sur pied par Washington, l’armée irakienne est partie à l’assaut de la deuxième ville d’Irak tenue par l’organisation Etat islamique depuis juin 2014.
Avec elle, les milices paramilitaires chiites du Hachd al-chaabi (la mobilisation populaire) soutenues par l’Iran, ainsi que des combattants sunnites opposés à Daech et entraînés par la Turquie.
Bagdad veut maintenir Ankara à l'écart de la reconquête de Mossoul
Si le Premier ministre Abadi a pris soin de préciser que seules l’armée et la police irakiennes entreraient dans Mossoul, Recep Tayyip Erdogan ne l’entend pas de cette oreille.
«Nous ferons partie de l’opération, nous serons à table. Il est hors de question que nous restions à l’écart», s’est emporté le président turc. «Que disent-ils? Que la Turquie n’entre pas dans Mossoul. J’ai une frontière de 350 km avec l’Irak et je suis menacé à cette frontière» a-t-il ajouté, expliquant: «Nous avons des frères à Mossoul: des Arabes, des Turkmènes, des Kurdes. Ce sont nos frères.»
Quelques jours auparavant, il avait protesté contre la demande de Bagdad de retrait des forces turques, chargées d’entraîner des volontaires sunnites contre l’EI, de Bachiqa en territoire irakien, et assimilées à «une force d’occupation.»
Sommant dédaigneusement le Premier ministre irakien de «rester à sa place», sous-entendu de factotum iranien, Erdogan était allé jusqu’à menacer de recourir à un «plan B», sans dire lequel, si l’armée turque n’était pas associée à la reprise de Mossoul.
La Turquie se pose en garante des populations sunnites
La Turquie entend en effet rester vigilante sur la composition ethnique et confessionnelle de cette ville et de sa province, essentiellement peuplée d’Arabes sunnites et de Turkmènes. Territoire sous domination ottomane durant quatre siècles, sa reconquête par une armée et des milices chiites ou des combattants kurdes inquiète particulièrement Ankara.
Pour Soner Captagay, un chercheur turc du Washington Institut cité par l’AFP, la véhémence du discours des dirigeants turcs montre qu’«ils sont en train de préparer l’après-Mossoul». Selon lui, Ankara craint de voir Téhéran renforcer son influence dans cette région limitrophe et «Erdogan sait qu’il ne pourra jamais se mettre d’accord avec l’Iran» sur le dossier irakien.
Des batailles porteuses d'un nouveau tracé frontalier
Pour tous les dirigeants de la région, l’Irak, la Turquie, l’Iran ou la Syrie, l’enjeu de la bataille de Mossoul et de celles annoncées d'Al-Bab et de Raqqa contre l’EI, est aussi celui de la survivance des Etats tels qu’ils avaient été dessinés par les accords Sykes-Picot de 1916, entre la France et la Grande Bretagne, ou par le traité de Sèvres de 1920 qui promettait aux Kurdes un Etat qui n'a jamais vu le jour.
De cette guerre de reconquête des territoires de l'EI, dans laquelle intérêts économiques et énergétiques se superposent aux oppositions politiques, ethniques et religieuses, pourrait naître un nouveau tracé frontalier.
Annoncée par le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, comme «une bataille de longue durée, de plusieurs semaines voire de mois», la bataille de Mossoul pourrait en réalité durer tant qu’un accord sur ce tracé n’aura pas été trouvé.
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