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Relations Etats-Unis/Iran: méfiance toujours

Depuis le renversement du shah en 1979, les Etats-Unis et l’Iran entretiennent des relations exécrables. Avec l’élection d’un nouveau président à Téhéran, Hassan Rohani, souvent jugé plus modéré que son prédécesseur, ces relations peuvent-elles évoluer ? C’est sans compter le poids des contentieux entre les deux pays…
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Hassan Rohani, élu président de l'Iran en juin 2013 (ici avant son élection en avril 2006 à Téhéran) (Reuters - Raheb Homavandi)

La Maison blanche l’avait proposée. Mais il n’y aura finalement pas de rencontre entre le président américain, Barack Obama, et son homologue iranien, Hassan Rohani. «En principe, elle aurait pu avoir lieu (…) mais je crois que nous n’avions pas assez de temps pour vraiment (la) coordonner», a estimé le président iranien lors d’une interview sur CNN. «Cela s’est avéré trop compliqué à réaliser à l’heure actuelle pour les Iraniens», a expliqué un responsable américain. Bref, le fruit n’est pas encore mûr.

Seule rencontre prévue à haut niveau : les ministres des Affaires étrangères des deux pays devraient se retrouver le 26 septembre dans le cadre des discussions du groupe dit «5 + 1» (USA, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) sur le nucléaire avec la République islamique. Le dernier contact au sommet entre les Etats-Unis et l’Iran, en l’occurrence celui à la Maison blanche entre le président Jimmy Carter et le shah Mohammad Reza Pahlavi, remonte à 1978.
 
Il y a donc le signe d’un dégel certain dans les relations entre USA et Iran. A la tribune des Nations Unies, le 24 septembre, Barack Obama a estimé qu’Hassan Rohani avait reçu un «mandat pour suivre un chemin plus modéré» que son prédécesseur, Mahmoud Ahmadinejad. Mais «les mots conciliants devront être accompagnés d’actes transparents et vérifiables», a-t-il ajouté visant le dossier ultra-sensible du programme nucléaire iranien.

Mahmoud Ahmadinejeda, alors président de l'Iran, à l'Assemblée général de l'ONU à New York le 23-9-2010, montrant le Coran (à gauche) et la Bible (à droite).  (Reuters - Mike Segar)

De son côté, Hassan Rohani, parlant à la même tribune, a martelé que son pays ne constituait «pas une menace» et qu’il entendait utiliser l’énergie nucléaire «à des fins exclusivement pacifiques». «Au regard de la volonté politique des dirigeants des Etats-Unis (…), nous pouvons arriver à un cadre pour aplanir nos divergences», a-t-il poursuivi. Des propos qui peuvent laisser planer un certain optimisme.

De fait, ce discours n'a pas les accents anti-occidentaux de Mahmoud Ahmadinejad. De plus, Hassan Rohani a condamné les «crimes des nazis envers les juifs», alors que son prédécesseur tenait un discours révisionniste. Mais sur le fond, il n’a fait aucune concession. Résultat : pour le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, «comme prévu, cela a été un discours cynique et totalement hyprocrite».

Passif historique
Aujourd’hui, le passif historique pèse trop lourd entre Washington et Téhéran pour espérer «une grande entente» qui règlerait d'un coup les contentieux sur le nucléaire, les sanctions, le terrorisme et la Syrie. Avec l'Iran, «on croit plutôt à une diplomatie des petits pas», confie un
diplomate européen.

A l’ONU, le président Obama lui-même a reconnu qu'il existait des «soupçons trop profondément ancrés» entre les Etats-Unis et l'Iran, aux relations diplomatiques rompues depuis avril 1980. Et ce en évoquant plus d'un demi-siècle d'une «histoire difficile à surmonter du jour au lendemain».

Mossadegh et la nationalisation du pétrole iranien 

Arte, mise en ligne le 18-9-2010

De fait, confirme Hussein Ibish, du centre d'études American Task Force on Palestine, «il y a de la rancœur au sein de l'élite iranienne à l'égard des Etats-Unis». Ce qui interdit d'envisager, pour l'instant, tout «réchauffement des relations bilatérales». «Aucun des deux camps ne peut oublier sa propre histoire, qu'il s'agisse du coup d'Etat de 1953, de la prise d'otages de 444 jours à l'ambassade des Etats-Unis (à Téhéran) ou du soutien américain à l'Irak lors de la guerre contre l'Iran» dans les années 1980, renchérit Anthony Cordesman, du Center for Strategic and International Studies (CSIS).

La CIA vient de reconnaître qu’elle avait orchestré le coup d'Etat qui avait renversé le Premier ministre iranien, Mohamed Mossadegh, le 18 août 1953. Lequel venait de nationaliser le pétrole de son pays, provoquant la colère des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Le rôle de la CIA avait été admis du bout des lèvres en 2000 par la secrétaire d'Etat Madeleine Albright puis par Barack Obama en 2009. Mais ce coup de force, qui avait permis à Washington de placer sur le trône Mohammad Reza Pahlavi, hante toujours les relations américano-iraniennes.

Le 4 novembre 1979, sept mois après la proclamation de la République islamique, des étudiants radicaux prennent en otages 52 diplomates et employés de l'ambassade américaine à Téhéran. Ils ne seront libérés que le 20 janvier 1981. L'administration de Jimmy Carter rompt ses relations avec le nouveau régime et impose les premières sanctions économiques. Une opération militaire pour les faire libérer échoue lamentablement.

La libération des otages américains en Iran
Arte, 13-10-2012

En trois décennies, les deux ennemis ont eu l’occasion de s’affronter indirectement à de nombreuses reprises, constate Anthony Cordeman (CSIS). En l’occurrence sur la guerre Iran-Irak, sur la question du soutien de l'Iran au «terrorisme», sur l'équilibre militaire dans le Golfe, à propos d'Israël, sur Bahreïn, sur la Syrie (avec la Russie, Téhéran est le principal soutien du régime de Damas). Et, bien sûr, sur le dossier nucléaire. Résultat : aux yeux de l'expert, ces contentieux interdisent de «parler de rapprochement, de confiance mutuelle et même d'un apaisement des tensions entre les Etats-Unis et l'Iran».
 
Les deux pays ont pourtant un «intérêt commun à éviter la confrontation» militaire, estime Hussein Ibish (American Task Force on Palestine). Ce dernier croit à une «petite entente» sur le nucléaire. Américains et Iraniens pourraient ainsi s’entendre sur un «gel» concernant l'enrichissement de l'uranium à 20% et sur des inspections d'infrastructures nucléaires.

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