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Deux condamnés à mort exécutés en Iran : "La politique de terreur réactivée par le régime ne prend pas" dans la population, assure une anthropologue franco-iranienne

Après l'éxécution de deux hommes samedi 7 janvier, l'anthropologue franco-iranienne Chowra Makaremi estime que la violence appliquée par le régime iranien ne freine pas la contestation actuelle. 

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Chowra Makaremi, invitée du Talk franceinfo. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

"La politique de terreur qui est réactivée avec ces exécutions par le régime ne prend pas comme elle a pris en 2010", a assuré samedi 7 janvier sur franceinfo Chowra Makaremi, anthropologue franco-iranienne à l’IRIS et au CNRS, alors que deux hommes ont été exécutés samedi en Iran après avoir été reconnus coupables d'avoir tué un paramilitaire lors des manifestations déclenchées par le décès en détention d'une jeune Kurde. Selon Chowra Makaremi, il y a aujourd'hui en Iran "une volonté collective de demander le renversement du régime".


franceinfo : Comment réagissez-vous à la mort de ces deux hommes condamnés par le régime iranien ?

Chowra MakaremiJe constate que les Iraniens, en tout cas la société iranienne, à la fois dans le pays et à l'international sur les réseaux sociaux, manifeste sa colère, sa solidarité et sa détermination. La politique de terreur qui est réactivée avec ces exécutions par le régime ne prend pas comme elle a pris, par exemple, en 2010 où les exécutions des manifestants de 2009, du mouvement vert, ont été une sorte de couperet qui a un petit peu coupé net l'élan de contestation. Mais aujourd'hui, ce n'est pas ça que l'on voit.

Est-ce que la révolte, la mobilisation arrive à s'organiser ?

En fait, les émotions politiques sont pour moi au fondement de la révolte, parce que c'est avec l'indignation à la mort de sa Mahsa Amini que ce mouvement révolutionnaire est parti et dure depuis plus de trois mois. Ces émotions de colère, de volonté collective de demander le renversement du régime, sont toujours là. Et il n'y a pas de retrait de chacun dans une sphère privée. Il n'y a pas ces moments de dépression et de volonté de se retirer dans quelque chose de beaucoup plus privé et de déserter l'espace public. Et ça, c'est la façon dont les dictatures tiennent leur société généralement, de créer cet isolement par la peur, de créer ces façons de se désinvestir du politique. Ici, ce n'est pas ce qu'il se passe.

Pour l'instant, le régime tient toujours. Combien de temps cela va durer ?

Le régime ne tient plus sa société, mais il tient encore. Je suis absolument incapable de vous dire combien de temps ça va durer. Cela dit, le régime est aujourd'hui en train d'appliquer des recettes qui ont été élaborées au lendemain de la révolution, dans les années 1980. D'ailleurs, le Guide suprême a déclaré, "le Dieu de cette année est le Dieu des années 80". Des milliers de prisonniers politiques ont exécutés comme ça, condamnés à mort par les tribunaux révolutionnaires par des procès qui duraient quelques minutes sans avocat. Et c'est ça qui est réactivé aujourd'hui. D'ailleurs le président de la République actuel, Ebrahim Raïssi, était à l'époque un juge révolutionnaire, un des auteurs du massacre de 1988 durant lequel des milliers de prisonniers politiques ont été exécutés en quelques mois.

"Toute cette violence-là dont on essaye de réactiver la mémoire pour faire peur, ces recettes-là ne prennent plus."

Chowra Makaremi

à franceinfo

Ce qui est très important, c'est de voir comment est-ce que les groupes sociaux qui ont un intérêt à continuer à être liés au régime parce qu'ils en retirent des bénéfices, quand est ce que ces groupes sociaux-là vont commencer à perdre leur confiance dans ce régime ? Pour cela, la réaction des États occidentaux et de la Communauté internationale et le type de statut que possède ce régime à l'international est très important psychologiquement pour le soutien en interne dont il peut disposer. Et quand ces groupes sociaux vont lui retirer leur confiance, je ne vois vraiment pas comment est-ce qu'il pourrait continuer à se maintenir.

On annonçait il y a quelques semaines la fin de la police des mœurs en Iran. Qu'en est-il en vérité ?

Alors je fais un grand appel aux médias pour arrêter d'insister sur ce sujet qui n'en pas un. Parce qu'on voit bien qu'avec cette situation politique et de répression, que la question n'est pas la fin ou pas la fin de la police des mœurs en Iran. Ce n'est pas l'existence même de la police des mœurs qui aujourd'hui pose problème à la société iranienne, c'est la République islamique qui est une théocratie, qui considère les femmes, les minorités ethniques comme des sous-citoyens de seconde zone qui n'ont pas les mêmes droits. Elle a par ailleurs amené sa population à un niveau de vie économique absolument désastreux et à un niveau d'inégalités sociales faramineux dans un contexte social de très grande violence, de répression et d'absence de libertés. Il est important de faire ce que la société iranienne a fait depuis très longtemps, c'est à dire traverser une fois pour toute ce débat sur la police des mœurs ou pas la police des mœurs, et de regarder quels sont les vrais enjeux politiques et sociaux qui se posent aujourd'hui en Iran. Ce sont ceux d'une société liberticide avec une ségrégation de genre qui se maintient de multiples façons, avec des systèmes de surveillance extrêmement sophistiqués, la reconnaissance faciale par caméra, des SMS qui sont envoyés aux personnes qui sont mal voilées… Et donc on dépasse le débat auquel on avait affaire il y a quelques mois.

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