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Les manifestations en Iran représentent un "danger" pour le pouvoir iranien, estime le chercheur Thierry Coville

En Iran, le mouvement de contestation du régime, sur fond de malaise économique, met le président Rohani face à une alternative explosive, estime mardi sur franceinfo Thierry Coville, chercheur à l'IRIS et spécialiste de l'Iran : l'ouverture ou la répression.

Article rédigé par franceinfo - Edité par Mariam El Kurdi
Radio France
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Manifestations antigouvernementales d'étudiants devant l'Université de Téhéran, samedi 30 décembre 2017. (STR / EPA)

Thierry Coville, chercheur à l'IRIS, spécialiste de l'Iran, estime mardi 2 janvier sur franceinfo que les manifestations qui ont commencé jeudi 28 décembre en Iran traduisent un "manque de confiance dans les institutions publiques" et peuvent représenter un "danger" pour le pouvoir iranien."Il doit vraiment gérer la réponse qu'il donne, ne pas proposer que de la répression", a-t-il ajouté.

Le mouvement de protestation est sans équivalent dans ce pays depuis 2009. Au total, 13 personnes dont dix manifestants sont mortes dans les violences qui émaillent ces protestations.

franceinfo : Comment ont démarré ces rassemblements en Iran ?  

Thierry Coville : Ces rassemblements traduisent, d'après ce que l'on sait des slogans des manifestants, un mécontentement économique et social. D'abord, il y a la question du chômage. Les chiffres officiels sont à 12% mais même les Iraniens disent que ce serait autour de 16 à 18%, avec un chômage énorme des jeunes diplômés. Il y en a beaucoup en Iran : 700 000 nouveaux masters chaque année, qui ne trouvent pas de travail. Les gens protestent aussi contre la corruption. sur fond de manque de confiance dans les institutions publiques. Ils pensent que ces institutions ne travaillent que pour certains groupes, et donc ne sont pas justes, et ne font pas véritablement leur travail.  

Qui sont ces manifestants ?  

Pour l'instant, on voit les classes les plus pauvres, sans doute les 30% qui ne vont pas voter. Ils sont les plus pauvres, dans des villes moyennes. En Iran, quand vous n'avez pas de travail, que vous êtes un jeune, vous ne pouvez pas vous marier parce qu'il y a la question de la dot de la mariée, vous ne pouvez pas vous loger : vous ne pouvez pas vraiment rentrer dans la société. Cette question est donc  vraiment prioritaire pour l'État iranien. La question de la corruption aussi est pesante : les gens ont vraiment l'impression que des institutions comme la justice, la justice commerciale, les institutions bancaires, ne travaillent que pour quelques-uns et non pour le bien de tous.     

La situation économique ne s'est-elle pas améliorée depuis ces dernières années ?  

C'est un peu le paradoxe. Globalement, la situation macroéconomique s'est améliorée depuis 2012. C'est l'année pendant laquelle les sanctions sont à plein, l'inflation était montée à 40-50%, plus de 80% pour des produits comme les vêtements. L'Iran était au bord de l'hyperinflation. Après  l'accord sur le nucléaire [conclu en juillet 2015], les sanctions ont été levées début 2016 ; l'Iran peut désormais exporter tout son pétrole, cela va mieux sur le plan macroéconmique. La croissance est repartie, l'inflation est passée de 40% à 10%. Mais les problèmes sociaux persistent. Ce n'est pas avec un an de croissance que l'on va résoudre des problèmes sociaux qui sont aussi des problèmes structurels. Ce sont des tendances démographiques. Les gens ont tellement attendu de l'accord sur le nucléaire, qui devait régler tous les problèmes. Il y a une grosse déception par rapport à ce qu'ils voient dans leur vie quotidienne.  

Peut-on faire un parallèle avec les manifestations de 2009 ?  

C'est différent. En 2009, c'était vraiment un problème concret, politique : le second tour de l'élections présidentielle [l'annonce de la réélection du conservateur Mahmoud Ahmadinejad, sur fond de soupçon de fraude électorale, avait alors provoqué un soulèvement dans tout le pays]. Les gens sont sortis dans la rue pour dire, au début : "Where is my vote ?" Ils pensaient tous avoir voté pour Mir Hossein Moussavi [le candidat de l'opposition], ils se sont retrouvés avec Mahmoud Ahmadinejad élu. Il y avait des leaders, bien déterminés. Aujourd'hui, c'est plus un sentiment de malaise économique. Petit à petit, les réclamations vont peut-être s'agréger. On pense qu'à ces manifestations s'agrègent des déçus du rohanisme, des étudiants qui ont voté pour Hassan Rohani lors de la dernière présidentielle : sur les réseaux sociaux en Iran s'est développée une campagne, un hashtag "je suis déçu d'avoir voté pour Rohani". Peut-être qu'une partie de cette classe moyenne commence aussi à manifester.   

Est-on à la source d'un "printemps iranien", d'un possible soulèvement ?  

Je vois une sonnerie de danger pour le pouvoir iranien. A force de faire des promesses lors des élections, et de dire "je vais travailler pour la liberté", "vous avez le droit de critiquer", etc., les gens l'entendent ! Le président Hassan Rohani est un peu coincé, lui qui dit dans son discours que les gens ont le droit de critiquer. Par contre, une partie du pouvoir iranien est pour la répression dure. Alors, il ne peut pas dire non plus "vous avez le droit d'attaquer les bâtiments publics". Mais il est coincé : s'il donne une réponse qui n'est que répressive, que vont penser les 20 millions d'Iraniens qui ont voté pour lui et qui attendent une ouverture ? Les questions économiques sont importantes en Iran, mais les gens attendent aussi une ouverture politique, sociétale, la défense des droits des femmes, etc. Rohani doit vraiment gérer la réponse qu'il donne, ne pas proposer que de la répression. Le problème, c'est qu'il ne contrôle ni la justice, ni les forces de sécurité. On entre donc dans des jours assez compliqués pour lui.  

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