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Le rapprochement entre l'Inde et la Chine, «c'est comme gravir une montagne»

La Chine et l'Inde, ces puissances rivales des BRICS, viennent une nouvelle fois de promettre des efforts pour réchauffer leurs relations. Voilà plus d'un demi-siècle que les deux géants asiatiques se regardent en chiens de faïence par-dessus l'Himalaya. Différend frontalier jamais réglé et rivalités économiques aiguisées contredisent une volonté politique de rapprochement affirmée.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le conseiller d'Etat Yang Jiechi (à gauche) et le conseiller à la sécurité nationale indienne Ajit Doval, le 23 mars à New Dehli, lors de la 18e Rencontre des représentants spéciaux pour la question frontalière sino-indienne. (REUTERS/Stringer)
Le 24 mars 2015, après deux jours de rencontre à New Dehli, la capitale indienne, les ministres des Affaires étrangères chinois et indien ont communiqué leur résolution commune de «favoriser le maintien de la paix dans les zones frontalières» et de renforcer leur coopération mutuelle, afin de permettre le règlement de cette question ancienne.

«Les différends frontaliers entre la Chine et l'Inde ont été hérités de l'Histoire», a précisé Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères, ajoutant que grâce à plusieurs années d'efforts, des progrès ont été obtenus. «C'est comme gravir une montagne. C'est pénible, parce que nous marchons sur un chemin qui monte», a-t-il ajouté.

«Des différends frontaliers hérités de l'Histoire»
L'Inde et la Chine n'ont jamais pu se mettre d'accord sur le statut de deux territoires himalayens, l'Arunachal Pradesh et l'Askaï Chin ; le premier, à l'est, est revendiqué par l'Inde comme faisant partie du Cachemire (la Chine, elle, parle du Tibet du Sud), le second, à l'ouest, est considéré par la Chine comme un morceau du Xinjiang. Les deux pays ne parlent pas de frontière mais de «ligne de contrôle actuelle» (LAC) ou «ligne de contrôle effectif» (LCE), dont le tracé n'est pas figé. Les incidents y sont fréquents.
Des soldats indiens en patrouille à la frontière chinoise, dans l'Arunachal Pradesh, le 31 octobre 2003. (REUTERS/Utpal Baruah)

Ce différend frontalier mais surtout territorial remonte à la naissance de l'Inde indépendante, en 1947 : le pays considère l'Aksaï Chin et l'Arunachal Pradesh comme hérités de l'empire britannique des Indes. Un tracé «colonial», celui de la «ligne Mac-Mahon», remis en cause par la révolution chinoise en 1949. Selon la Chine, ces deux territoires sont des extensions de ses régions du Tibet et du Xinjiang. Après la défaite «humiliante» de l'Inde à l'issue de la guerre sino-indienne de 1962, qui a repoussé la ligne Mac-Mahon en sa faveur, les relations bilatérales ont été totalement gelées pour une bonne vingtaine d'années.

Les relations sino-indiennes, «un chemin qui monte»
Un processus de normalisation a fini par s'amorcer dans les années 80. La décennie suivante apporte une certaine amélioration, avec une progression des échanges commerciaux entre les deux grandes puissances. Dans les années 2000, certains ont même pu avoir, comme le ministre indien Jairam Ramesh, la vision d'une «Chindia», un partenariat stratégique qui redessinerait la géopolitique mondiale, mais la relation de rivalité a été la plus forte. 

Economiquement, cette relation est déséquilibrée à l'avantage de la Chine. Même la domination démographique indienne qui se profile à l'horizon 2030 n'est plus un atout. 
Le commerce bilatéral a explosé, mais c'est au détriment de l'Inde. En 2012, son déficit commercial se creusait à 29 milliards de dollars (22 milliards d'euros) à l'égard de la Chine (15% de son déficit global). «La Chine «atelier du monde» exporte plus que l'Inde «bureau du monde(...) La crispation autour de cette asymétrie commerciale croissante ajoute au malaise général en Inde à l'égard du puissant voisin d'outre-Himalaya», résumait Frédéric Bobin dans Le Monde.


Un triangle stratégique Chine-Etats-Unis-Inde
Depuis 1962, tandis que l'Inde se rapprochait de l'URSS, puissance antagoniste à la Chine, puis, après la chute de l'URSS, du Japon pour une coopération stratégique, Pékin a choisi de privilégier un rapprochement avec le Pakistan, ennemi historique de Dehli, via une coopération militaire – en 2012, l'armée pakistanaise était équipée à 60% d'armes chinoises – et nucléaire.

Depuis 2005, l'Inde, elle, tente de se rapprocher des Etats-Unis. En 2008, Delhi et Washington ont conclu un pacte sur le nucléaire civil qui a beaucoup irrité Pékin. Pour contrarier ce partenariat et diminuer l’influence américaine sur New Delhi, la Chine a compris qu'il lui fallait séduire les Indiens.

Un serpent de mer... ou plutôt de montagne
Et dans ce contexte de rapprochement entamé en 2003, les incidents frontaliers avec intrusions de l'APL chinoise (suspectée d'agir pour son propre compte) se poursuivent, régulièrement suivis d'entrevues de Premiers ministres, groupes de travail et déclarations de bonne volonté. Une «année de l'amitié» entre les deux puissances a même été décrétée en 2006.

Une poignée de mains sino-indienne dans l'Arunachal Preadesh pour célébrer l'anniversaire de l'indépendance de l'Inde, le 15 août 2004. (REUTERS/STR JS/SM)
Malgré quatorze cycles de négociations et plusieurs séries d'accords, le problème frontalier n'est toujours pas réglé. La plus récente incursion de l'APL, en avril 2013, dans le Ladakh indien, avait ainsi été suivie d'un sommet «pour la paix et la tranquillité», et d'un appel du Premier ministre chinois à une «poignée de mains au-dessus de l'Himalaya»... 

Ce 24 mars 2015, 
la porte-parole du ministre des Affaires étrangères a déclaré lors d'une conférence de presse que «le développement des relations sino-indiennes touche au bien-être des peuples des deux pays ainsi qu’à la paix et au développement dans la région et dans le monde». Pour travailler à ce rapprochement, le président chinois Xi Jinping a effectué une visite historique en Inde en septembre 2014. Le Premier ministre indien Narendra Modi est, lui, attendu à Pékin en mai. Il y sera «chaleureusement accueilli par le gouvernement et le peuple chinois», a promis Wang Yi.
 
 

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