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"Ce que fait l'Inde est très violent" : des Français racontent comment ils tentent de communiquer avec leurs proches au Cachemire

Un black-out sur les communications et de fortes restrictions de circulation ont été imposés dans cette région par l'Inde le 4 août, à la veille du décret présidentiel révoquant l'autonomie de la partie du Cachemire qu'elle contrôle.

Article rédigé par franceinfo avec AFP - Auriane Guerithault
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Temps de lecture : 6min
Une manifestation contre la décision du gouvernement indien de mettre fin au statut d'autonomie de la région du Jammu-et-Cachemire, à Srinagar (Inde), le 12 août 2019.  (DANISH SIDDIQUI / X90172)

Coupés du monde. Après la décision inattendue de mettre fin à l’autonomie du Jammu-et-Cachemire, un Etat du nord de l’Inde, lundi 5 août, le gouvernement indien a interrompu toutes les communications dans cette zone. Plus de téléphone ni d'internet, des couvre-feu très stricts : les habitants sont confinés dans leurs maisons et quasi aucune information ne sort de cette région himalayenne, à majorité musulmane

Cela fait soixante-dix ans que les nationalistes hindous souhaitent mettre fin au statut spécifique de cette zone divisée entre l'Inde et son voisin ennemi, le Pakistan, depuis 1947. Après la révocation de l'autonomie, New Delhi a déployé 80 000 paramilitaires supplémentaires au Cachemire et pris des mesures d'ampleur pour éviter un soulèvement. Au moins 4 000 personnes ont été arrêtées, ont indiqué des sources gouvernementales le 18 août. Franceinfo a interrogé des Françaises inquiètes pour leurs proches sur place, avec qui les communications sont extrêmement rares, voire inexistantes. 

"C'est plus restrictif que d'habitude" 

Charlotte Nagroo avait été prévenue par son mari dès le dimanche 4 août que les communications allaient être interrompues. "Ils coupent souvent les communications, internet, mais pas les lignes fixes et, surtout, normalement cela ne concerne pas tout le monde et pas tout le temps", explique-t-elle à franceinfo. 

Tous deux travaillent dans l'artisanat local : cachemire et bois sculpté. Parents de deux adolescentes, ils ont choisi de revenir en France et effectuent quelques allers-retours vers Srinagar, la capitale d'été du Jammu-et-Cachemire. Actuellement dans l'Hexagone, Charlotte attendait son mari qui devait rentrer le 15 août, mais elle n'a eu aucune nouvelle jusqu'à la nuit du samedi 17. Prévenue du retour de la connexion par son neveu, qui se trouve sur place, elle a pu avoir son mari au téléphone. 

On a pu se parler une minute, on s'est dit qu'on se rappelait et le lendemain ça ne marchait pas.

Charlotte Nagroo

à franceinfo

Une situation très compliquée, même pour Charlotte, qui a vécu quelques mois au Cachemire et arrive à se figurer un peu la situation : "Les gens sont assignés à résidence, sous couvre-feu, certains commerces arrivent à ouvrir, mais les écoles sont fermées, alors des classes de quartier s'organisent." Mais "c'est plus restrictif que d'habitude, plus long et plus dur", assure-t-elle. 

Trois heures de queue pour un appel téléphonique

Charlotte Kaufmann se trouve elle aussi en France et s'inquiète de ne pas avoir de nouvelles de son mari. Créatrice textile, elle a rencontré son compagnon à Srinagar. Elle connaît bien la région et y a déjà vécu quelques mois. Mais depuis l'annonce de la fin de l'autonomie, elle vit dans l'attente, accrochée aux quelques informations qui filtrent dans les médias. 

Elle a pu parler pour la dernière fois à son mari mardi 13 août. "Il s'est rendu à une station de police et on a pu se parler une minute. Il a dû faire la queue pendant trois heures", explique-t-elle. A Srinagar, deux portables satellite sont mis à disposition de la population dans des postes de police, relate France 24. Un seul appel par personne, et de quelques minutes seulement pour les plus chanceux, est autorisé. 

Les deux Charlotte se connaissent et se soutiennent en partageant les miettes d'informations qu'elles peuvent recueillir chacune de leur côté. "On essaye de se communiquer tout ce que l'on peut. J'avais même contacté une chercheuse, Charlotte Thomas, spécialisée sur le mouvement indépendantiste du Cachemire. Je l'ai remerciée pour son intervention sur France Inter car personne ne parle de ce qu'il se passe là-bas", regrette Charlotte Kaufmann. 

Les deux femmes sont aussi en lien avec la mère d'une autre Française, Mélanie, qui se trouve sur place avec son mari. La jeune femme habite Srinagar depuis près de trois ans. "C'est mon ex-mari qui a eu des nouvelles, explique la mère de Mélanie, désemparée. Elle va bien. Dans leur quartier, près du lac Dhal, c'est plutôt calme et, visiblement, les départs de Srinagar sont possibles." L'ambassade de France en Inde ne lui a pas donné plus d'informations, hormis qu'elle interviendrait si "la situation devenait embêtante"

"L'armée est partout"

Au quotidien, il est courant de voir l'armée patrouiller dans les rues et, pendant les moments de tension, la pression peut monter très vite. Les habitants sont habitués aux "jeteurs de pierres", des jeunes qui lancent des projectiles sur les militaires. En réponse, ces derniers caillassent les maisons pour effrayer la population. 

Mais depuis le 5 août, la situation au Cachemire est encore plus tendue et le manque d'informations ajoute à l'inquiétude des proches. "J'ai peur car c'est très violent ce que fait l'Inde, c'est du jamais-vu. L'armée est partout", confie Charlotte Kaufmann. La mère de Mélanie, elle, s'interroge sur les conditions dans lesquelles les habitants passent leurs appels. "Est-ce qu'ils ont pu dire ce qu'ils voulaient au téléphone, alors que la police se trouvait à côté ?" 

"Je ne crains pas forcément pour la vie de mon mari, poursuit Charlotte Kaufmann, car il sait comment se comporter dans cette situation. Mais j'ai peur pour l'avenir de la région, du peuple." Les manifestations se tiennent généralement dans le centre de Srinagar, bastion de la contestation contre l'Inde. Mercredi 21 août, un "terroriste", selon la police indienne, et un policier ont trouvé la mort dans un incident survenu dans le district septentrional de Baramulla. Début août, un homme s'était noyé dans la vieille ville de Srinagar en tentant d'échapper à la police.

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