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Pour Obama, la Grèce est avant tout un enjeu géopolitique
Outre sa légitimité populaire, Alexis Tsipras a une carte décisive dans son jeu : la situation géopolitique de la Grèce. Pays tampon entre l’Occident et l’Orient, la Grèce est un pion déterminant sur l’échiquier militaire en Méditerranée orientale. Athènes est en première ligne face à la Turquie, à la crise syrienne, et aux flux migratoires en provenance de la région. Washington ne l'a pas oublié.
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La Grèce n'est pas seulement une affaire de dette et d'économie, c'est aussi un enjeu stratégique. Fragilité des Balkans, guerre en Syrie et en Irak, chaos en Libye...la situation de l'Europe sur son flan orientale est dangereuse.
Le contrôle des voies maritimes entre la Méditerranée et les ports de la mer Noire, tout comme les îles proches de la Syrie et les routes maritimes qui viennent du canal de Suez, font de la Grèce un élément crucial pour toute stratégie de défense de l’Otan. Perdre la Grèce, c’est créer un point faible aux portes de l’Europe.
D’ailleurs, la dette grecque s’explique en partie par le poids des dépenses militaires. Les Etats Unis ont poussé la Grèce à se surarmer. Entre 1992 et 2008, la Grèce a acquis 241 avions de combat, 41 navires de guerre, six sous-marins, 1581 chars, 1455 véhicules blindés d’infanterie, 593 canons d’artillerie, 226 missiles et lanceurs. De gros contrats dont les Etats-Unis, l’Allemagne et la France sont alors les principaux bénéficiaires, ainsi que quelques ministres grecs corrompus. En 2013, le budget de défense grec demeurait le plus élevé en Europe à 2,5% du PIB.
Porte d'entrée migratoire
Athènes est également un rempart face aux flux migratoires en provenance d’Asie et du Proche-Orient. Les îles de Crête, Santorin, Lesbos et Kos sont aujourd’hui avec la Sicile les principaux points d’entrée de l’Union européenne. Le 9 mars 2015, le ministre grec de la Défense menaçait «d’inonder l’Europe de migrants» si Bruxelles ne trouvait pas rapidement une solution à la crise de la dette.
La Grèce a une position stratégique que n’a pas oubliée le président Obama. Les Etats-Unis ont fait pression sur Angela Merkel, pour qu’un accord soit trouvé avec la Grèce, (membre de l’Otan depuis 1952), afin qu’elle reste arrimée à l’euro et à l’Europe. Obama veut une Europe forte capable de faire barrage à la Russie et à la Chine. Le président américain s’inquiète d’un rapprochement d’Athènes avec Moscou.
La protection militaire de l’Otan n’a pas rompu les liens culturels et historiques qui unissent la Grèce à la Russie. Athènes est le seul pays de l’UE à avoir critiqué les sanctions européennes à l’égard de Moscou, prises lors de la crise ukrainienne. Vis-à-vis d’un Vladimir Poutine, la solidarité religieuse (orthodoxe) et les liens financiers, via Chypre, sont réels.
Des liens forts avec Moscou
La Grèce, c’est aussi l’une des portes sud des Balkans, avec la question des couloirs énergétiques vers l'Europe. Vladimir Poutine a signé en juin 2015 un accord pour la construction d’un gazoduc en Grèce à destination du marché européen. Un contrat de deux milliards d’euros signé avec AlexisTsipras à Saint-Pétersbourg. A cette occasion, le président russe a réaffirmé sa disponibilité à soutenir financièrement Athènes en cas de besoin. Un appui financier devenu plus difficile avec la chute des cours du pétrole et les sanctions imposées par Bruxelles.
«Une Grèce forte en Europe permet au bloc occidental de se renforcer sur deux enjeux : le premier vis-à-vis de la Turquie et le second de la Russie», considère Olivier Delorme historien spécialiste des Balkans. «La Grèce se trouve dans un face-à-face historique avec Ankara, qui joue un jeu politique ambiguë : la Turquie membre de l’Otan est hostile aux Kurdes et conciliant avec Daech à qui elle achète clandestinement son pétrole», affirme Olivier Delorme. La rivalité de la Grèce avec la Turquie est également économique. Ankara revendique des droits d’exploitations sur les ressources pétrolières et gazières situées en mer Egée et au sud de Chypre.
L'admission de la Grèce dans la zone euro en 2001, alors que les critères de Maastricht n’étaient pas remplis, et les comptes maquillés répondaient également à des raisons géopolitiques et symboliques pour ce pays inventeur de la démocratie et de la «déesse Europe».
Une Grèce humiliée et appauvrie risque de se jeter dans des aventures politiques et diplomatiques. Pékin a des visées sur ce pays carrefour et sur le port du Pirée, une parfaite porte d’entrée pour alimenter les marché européen et méditerranéen en produits chinois.
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