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Jacques Sapir: «Pour la Grèce, le grexit n’est pas un problème»
La Grèce est au bord du défaut de paiement sur sa dette. Jacques Sapir est économiste. Il est connu pour ses critiques répétées contre l’euro. Pour Géopolis, il analyse les mécanismes et les conséquences d’un éventuel défaut de paiement. Un défaut qu’il présente comme extrêmement probable si rien ne se passe dans les jours qui viennent.
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La Grèce doit payer au FMI la somme de 1,6 milliard d’euros avant la fin juin. Une somme qu’Athènes ne possèderait pas. Et ce remboursement est le premier d’une longue série à venir (la Grèce a une dette de plus de 300 milliards d'euros). Les négociations avec l’Europe portent sur les mesures que les créanciers veulent imposer à la Grèce en échange d’une nouvelle tranche de prêts. Pour Jacques Sapir le débat n’est pas économique (l’âge de la retraite en Grèce ou le niveau de la TVA) mais politique. D’où la difficulté d’arriver à un accord. Or, si cet accord n’est pas rapide, la Grèce sera en défaut de paiement. Avec quelles conséquences?
Concrètement, quelles seraient les conséquences d’un défaut de paiement ?
Si la Grèce fait défaut, la Banque centrale européenne doit normalement mettre fin à son programme de liquidités qui permet aux banques grecques de se financer (ELA). Les titres grecs, du fait du défaut du pays, ne pouvant être pris en garantie par la BCE.
Si une décision politique de remplacement de l’ELA n’est alors pas prise par l’UE (ce qui serait alors en contradiction avec les traités), les banques grecques se retrouveraient en crise de liquidités et Athènes devrait les nationaliser et reprendre le contrôle de sa banque centrale.
La banque centrale grecque devrait alors émettre des certificats de paiement libellés en euros qui remplaceraient les liquidités qui font défaut. Sur le marché, ces certificats serviraient de moyen de paiement. Rapidement, le cours de ces certificats connaîtrait une forte dépréciation. Ces certificats pourraient alors prendre rapidement le nom de drachme… (nom de la monnaie grecque avant l’euro, NDLR).
Ces nouvelles «drachmes» devraient rapidement afficher des cours de 20 à 35% inférieurs à l’euro.
La Grèce aurait alors une nouvelle monnaie qui s’imposerait dans les commerces, les hôtels, les restaurants. Les touristes devraient changer leurs euros contre cette nouvelle monnaie.
La sortie de l’euro est-elle une bonne solution pour la Grèce?
Si la Grèce adopte cette nouvelle monnaie, bien moins élevée que l'euro, elle devient très compétitive à l’export vers ses pays voisins. Les prix des produits agricoles (vers les Balkans), de ses produits industriels (vers le Moyen-Orient) ou de ses services comme la réparation navale, en concurrence avec la Turquie, redeviennent compétitifs.
La Grèce peut alors connaître un vrai boom de ses exportations dans les 4 à 8 mois. Au niveau touristique, le pays peut devenir plus concurrentiel et cela peut être rapide puisque une part non négligeable des voyages se décide au dernier moment. Or, aujourd’hui, la Grèce a déjà une balance commerciale grosso modo équilibrée.
A contrario, il existe des risques d’inflation, mais on a constaté que l’inflation importée est moins forte qu’on ne le pensait. L’exemple russe le montre.
Reste la question de l’arrêt des investissements étrangers en raison de la situation (le défaut de paiement). Mais les Grecs ont déjà sorti, en raison de la peur d’une crise, quelque 35 milliards d’euros des banques. Dans la nouvelle situation, on peut estimer que les deux tiers de ces milliards d’euros pourraient revenir, soit l’équivalent d’un investissement étranger d’environ 20 milliards d’euros.
Le grexit (sortie de la Grèce de la zone euro, NDLR) n’est donc pas un problème pour la Grèce.
Quelles conséquences pour l’euro et la zone euro?
Si ce scénario se produit, pour l’Europe, cela va être rock and roll. Le défaut de la dette grecque qui de droit européen s’exprime toujours en euro va peser sur les créanciers. Les Etats européens devront payer et la BCE devra être recapitalisée.
Mais le plus important aura lieu sur les marchés. La panique sur les dettes périphériques (Italie, Espagne…) devraient entraîner une hausse des taux. Les acheteurs de dette vont se dire «houla» et se désengager, ce qui pèserait sur le financement de ces Etats.
On s’apercevra alors que tous les discours sur l’indéfectibilité de la zone euro étaient faux, accentuant la défiance dans toute la zone… Chaque pays comprenant qu’il a intérêt à jouer sa propre carte.
La véritable question est donc de savoir si il ne vaut pas mieux procéder à une dissolution ordonnée de la zone euro, plutôt que de la voir se dissoudre sous les coups des marchés.
Ce serait même mieux que les Européens se dégagent de l’idéologie de l’euro avant le défaut de la Grèce.
Jacques Sapir est diplômé de Sciences-Po et docteur en économie. Il est directeur de recherche à l’IHESS. Il publie un blog.
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