Cet article date de plus de douze ans.

Vladimir Poutine va-t-il lâcher du lest ?

Au lendemain de la victoire au premier tour, mais contestée, de l'ancien agent du KGB, FTVi se demande si sa troisième élection à la tête de la Russie peut changer la donne démocratique.

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des partisans de Vladimir Poutine célèbrent sa victoire à la présidentielle aux abords du Kremlin à Moscou (Russie), le 5 mars 2012. (ALEXEY SAZONOV / AFP)

Comment Vladimir Poutine va-t-il interpréter son élection dès le premier tour de la présidentielle russe ? Officiellement, l'ex-agent du KGB a "gagné dans une lutte honnête" en recueillant dimanche 4 mars environ  63,97% des voix, selon les résultats portant sur 98,47% des bureaux de vote. Mais les représentants de certains candidats, des opposants, les organisations russes de surveillance électorale ainsi que des médias indépendants ont affirmé dimanche soir avoir recensé quantité de fraudes. Et l'opposition a maintenu son appel à une grande manifestation place Pouchkine à Moscou lundi soir. Un moment crucial pour l'avenir de la contestation.

Signe troublant : le président russe Dmitri Medvedev (ex et futur Premier ministre de Vladimir Poutine) a demandé lundi au procureur général d'"analyser d'ici le 1er avril la légitimité et le bien-fondé" du jugement dans 32 dossiers judiciaires, dont celui de Mikhaïl Khodorkovski. Emprisonné depuis 2003, cet ancien oligarque a été condamné dans deux procès successifs à 13 ans de prison pour fraude fiscale, blanchiment et détournement de pétrole. Cette affaire est considérée par de nombreux observateurs comme un règlement de comptes entre le pouvoir et l'homme d'affaires qui avait tenu tête au Kremlin et finançait l'opposition.

Mikhaïl Khodorkovski : oligarque déchu et emprisonné (MIKOCZY ALBAN / FRANCE 2)

Or, la libération de prisonniers politiques constituait l'une des exigences des grandes manifestations d'opposition à Moscou qui ont suivi les législatives contestées du 4 décembre. Coup de bluff ou vraie détente de la part de Vladimir Poutine ? Eléments de réponse.

1. Un geste de détente symbolique...

Pour Tatiana Kastoueva-Jean, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (Ifri) interrogée par FTVi, la révision de l'affaire Khodorkovski apparaît comme un "geste symbolique vis-à-vis de l'opposition". Elle rappelle que le nom de l'ancien oligarque est "symbolique et emblématique" aux yeux des opposants à Vladimir Poutine. "Si quelque chose est fait pour Khodorkovski, cela facilitera les choses pour les autres prisonniers politiques dont l'opposition a établi une liste. Mais rien n'est réglé."

Autre signe de détente annoncé par le Kremlin lundi : le président russe a demandé à la justice de vérifier si le refus d'enregistrer le parti libéral Parnas était bien conforme à la loi. "Il y a des réactions rapides de la part du tandem Poutine-Medvedev depuis les manifestations de décembre. Parmi ces signes : une loi sur l'élection des gouverneurs, l'assouplissement des règles pour enregistrer des partis politiques... Cette annonce de Medvedev peut donc tout à fait se situer dans cette lignée", analyse Tatiana Kastoueva-Jean.

2. ... qui ne trompe pas grand monde

Mais ces mesures permettent surtout au tandem Poutine-Medvedev de "jouer sur deux registres à la fois", explique à FTVi Vladimir Fédorovski, ancien diplomate russe et écrivain. "Entre Poutine et Medvedev, il y a un partage des rôles. Et Medvedev représente une façade plus policée, plus libérale, du poutinisme. Mais cela ne change rien." "Le moment est trop significatif pour que cela soit quelque chose de sincère, confirme Tatiana Kastoueva-Jean. Rien n'est laissé au hasard dans le calendrier politique."  Et le message n'a pas le même poids que s'il était porté par Vladimir Poutine lui-même. "Comme pour l'aigle bicéphale, indique la chercheuse spécialiste de la Russie, l'un fait ce que l'autre ignore ou essaie de rattraper ce qu'a fait l'autre..."

Impossible par ailleurs de prévoir l'épilogue dans ces affaires. "Le dossier sera-t-il réexaminé, la condamnation de Khodorkovski sera-t-elle revue ou sera-t-il relâché ? Et qui est concerné par les autres dossiers réexaminés ? Cela risque de devenir la nouvelle intrigue politique de l'année", observe Tatiana Kastoueva-Jean. Vladimir Fédorovski redoute, lui, que cela reste "des déclarations qui ne se réalisent pas". "Il faudra apporter des preuves. Et Vladimir Poutine a toujours beaucoup annoncé sans réels effets".

3. Un mouvement de contestation réel...

Des opposants à Vladimir Poutine se rassemblent dans le centre de Moscou (Russie) et brandissent la pancarte "Une Russie sans Poutine", le 5 mars 2012. (NATALIA KOLESNIKOVA / AFP)

Avec un score de près de 64% des voix, Vladimir Poutine a-t-il intérêt à lâcher du lest face à une opposition qui monte en puissance ? "Le mouvement d'opposition ne va pas s'essouffler, prévient l'ancien diplomate russe Vladimir Fédorovski. La contestation qui s'est développée depuis quelques mois est un mouvement qui reflète le désarroi et l'angoisse de la société."

A ses yeux, Vladimir Poutine sera obligé de pratiquer une politique plus ouverte. "La société exige une vraie lutte contre la corruption, le déverrouillage politique, économique, médiatique." En remportant l'élection présidentielle dès le premier tour, "Poutine a gagné la bataille mais il n'a pas gagné la guerre", estime l'ancien diplomate

Le mouvement de contestation de décembre contre les fraudes aux législatives était sans précédent pour l'ancien du KGB mais il ne pourrait être qu'un début. "Le système Poutine s'est fissuré depuis ces manifestations. Ces fissures risquent de s'aggraver même s'il est encore trop tôt pour en connaître l'impact", note Tatiana Kastoueva-Jean.

4. ... qui doit faire ses preuves

Tous les yeux sont donc tournés vers la place place Pouckine, où ceux qui contestent les irrégularités du vote de dimanche se sont retrouvés au lendemain de l'élection de Vladimir Poutine. Le mouvement va-t-il s'amenuiser ? Pour l'instant, seul le rejet de Vladimir Poutine lie ces différents contestataires entre eux. "Il n’y a personne en face de Poutine", expliquait à FTVi Philippe Migault, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de la Russie. Pour Vladimir Fédorovski, le piège pour les opposants serait de se conformer à la "grille de lecture de Poutine, celle des bons et des méchants, d'entrer dans la confrontation permanente".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.