Union européenne: l'expulsion de citoyens modestes non-roms est-elle la règle ?
Les autorités belges ont au moins le mérite de la franchise. Et n’hésitent pas à publier des chiffres : elles expliquent ainsi avoir, pour 2012, «mis fin au séjour de 1130 citoyens européens». Ce faisant, elles appliquent à la lettre une directive européenne de 2004 sur la libre circulation des citoyens de l’UE.
Les autres pays de l’UE sont-ils aussi stricts que les Belges ? Difficile d’avoir une idée de l’ampleur du phénomène. «Nous n’avons pas à la Commission de données consolidées sur les cas d’expulsions intra-européens», explique-t-on à la Réprésentation de l’UE à Paris. «Le phénomène est très faible», croit savoir le collaborateur d’un député européen quand on évoque devant lui le cas belge.
Pour autant, trouver des chiffres en matière d’expulsions de citoyens européens ailleurs qu’outre-Quiévrain est une tâche ardue… En France, par exemple, ces données semblent relever du secret d’Etat, ce qui prouve apparemment que le sujet est hyper-sensible. Sollicité deux fois par nos soins, le ministère de l’Intérieur n’a pas donné suite. Heureusement, les données sortent de manière parcellaire grâce aux ONG. Ainsi, «158 nationalités étaient représentées dans les différents centres de rétention en 2012», selon le rapport des cinq associations habilitées à intervenir dans ces centres. Lesquels sont des lieux où sont enfermés des étrangers sous le coup de mesures d’éloignement. Mais le document ne détaille pas précisément la question des Européens.
Surreprésentation de Roumains et de Bulgares
L’ERRC (European Roma Rights Centre, Centre européen pour le droit des droits des Roms) a réussi à obtenir quelques éléments pour les régions de Bordeaux, Strasbourg, Nantes, Marseille et Lille fournis par le département des statistiques du ministère de l’Intérieur. «Nous n'avons pas reçu de réponse pour aucun des départements d'Ile-de-France ni pour les régions Rhône-Alpes et Midi-Pyrénées», précise l’ONG. Ces données très partielles ne sont pas forcément faciles à manier. L’administration distingue ainsi (ô merveilleuse langue de bois bureaucratique !) les «obligations de quitter le territoire français» (OQTF) et les «arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière» (APRF)…
De ces chiffres, il ressort une surreprésentation des Roumains et, dans une moindre mesure, des Bulgares. Ainsi qu’une faible proportion d’autres Européens. Pour 2012, par exemple dans les Bouches-du-Rhône, on compte 476 OQTF de Roumains (et de 4 Bulgares), contre un Allemand, 4 Italiens, 2 Lettons, 3 Portugais. La tendance est inversée en Gironde : 454 Bulgares contre 43 Roumains. A l’autre bout de l’Hexagone, dans le Nord, pour 2012, on compte 145 OQTF de Roumains et de 16 Bulgares. Contre un Allemand et 5 Espagnols. Dans le Bas-Rhin, on trouve un peu plus d’Européens de l’Ouest, avec 14 Allemands (128 Roumains et 14 Bulgares).
«Parmi les Roumains et les Bulgares, on compte de nombreux citoyens d’origine rom qui restent dans des bidonvilles dans l’Hexagone, mais aussi des non-Roms qui vivaient dans des situations très précaires dans leur pays», explique-t-on à l’ERRC. Impossible d’en savoir plus, la loi française n’autorisant pas les données ethniques.
Dans le même temps, ces chiffres sont bruts : les motifs de l’expulsion ne sont pas donnés. Là encore, interrogée, l’administration française ne répond pas. «Pour les Européens de l’Ouest, il s’agit souvent de personnes sortant de prison et obligées ensuite de quitter le territoire», pense l’ERRC. Ce qui semblerait signifier que la France, dont les chiffres d’éloignement du territoire ont atteint des records en 2013, n’expulse pas à la sauce belge : en clair, il n’y a pas d’expulsions de citoyens européens modestes (autres que les Roms), lesquels citoyens représenteraient chez nos voisins «une charge déraisonnable pour le système d’aide sociale».
Bruxelles met les points sur les «i»
Une chose est sûre : «A Bruxelles, on est assez mal à l’aise sur cette thématique. D’autant moins que le climat n’est pas très sain aujourd’hui en Europe…», constate le collaborateur de l’eurodéputé. Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard si Bruxelles a sorti le 25 novembre 2013 un «mémo» rappelant que «la Commission européenne soutient la libre circulation des personnes».
«Selon les chiffres communiqués par les Etats membres et une étude publiée récemment par la Commission européenne, dans la majeure partie de l’Union, les citoyens d’autres Etats membres n’ont pas plus largement recours aux prestations sociales que les ressortissants de leur pays d’accueil. Ils ont moins de chances de percevoir des allocations de logement ou des allocations familiales dans la plupart des pays visés par l’étude», rappelle le document. Voilà qui a le mérite de la franchise. Et Bruxelles d’enfoncer le clou en précisant que «ces personnes constituent moins de 1% de l’ensemble des bénéficiaires (ressortissants de l’Union) dans six des pays étudiés (l’Autriche, la Bulgarie, l’Estonie, la Grèce, Malte et le Portugal) et entre 1% et 5% dans cinq autres pays (l’Allemagne, la Finlande, la France, les Pays-Bas et la Suède)».
«D'autres études indépendantes arrivent également à la conclusion que les travailleurs des autres Etats membres sont des contributeurs nets aux finances publiques du pays hôte. Les travailleurs migrants contribuent généralement plus aux budgets des pays d'accueil via leurs impôts et contributions de sécurité sociale qu'ils ne reçoivent de prestations, parce qu'ils ont tendance à être plus jeunes et plus économiquement actifs que la population du pays d'accueil», précise-t-on par ailleurs à la Commission.
Le message est très politique : constatant (discrètement) le problème, il est destiné aux Etats en crise qui ont la tentation de stigmatiser les étrangers. Une tentation qui existe notamment en Grande-Bretagne «avec David Cameron, ultralibéral en matière économique et qui défend un protectionnisme social de bas étage», constate le collaborateur de l’eurodéputé. En novembre 2013, le premier ministre britannique a publié une tribune sur l’immigration dans le Financial Times (accès payant). «Si les gens ne sont pas là pour travailler – s’ils mendient ou dorment dans la rue – ils seront reconduits à la frontière et interdits de séjour pendant 12 mois», explique-t-il. Et de réclamer un durcissement des règles d’allocation des aides sociales aux migrants de l’UE. Le débat sur l’immigration au Royaume-Uni est «hystérique», a réagi le commissaire européen à l’Emploi, Laszlo Andor.
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