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Secret des affaires : les entreprises protégées, pas les lanceurs d'alerte

Le 14 avril 2016, à Strasbourg, le Parlement européen vote la directive sur la protection du «secret des affaires». Résultat : 503 votes pour, 131 contre, 18 abstentions. Une solide majorité qui masque un vrai problème. Si les entreprises en sortent renforcées, les lanceurs d'alerte sont eux totalement oubliés par le législateur européen.
Article rédigé par Bernard Weyl
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le Parlement européen à Strasbourg. (PATRICE THEBAULT / ONLY FRANCE)

C’est en fait la conclusion logique d’un parcours très difficile. Le texte est un héritage de la Commission Barroso. C’est Michel Barnier, alors commissaire au Marché intérieur, qui lance l’idée. Il s’agit de combler un vide : l’UE n’a pas de socle juridique commun pour lutter contre l’espionnage industriel et protéger les innovations.

La Commission prépare une directive et va devoir vite ferrailler avec le co-législateur, le Parlement européen, sur la zone frontière entre les «secrets de fabrication» et le droit à l’information. Car, pour certains, dans un monde rempli de curieux (les journalistes d’investigation) ou de Robin des Bois modernes (les lanceurs d’alerte) la tentation est grande de couvrir du «secret des affaires» toutes les activités économiques, y compris celles que la loi ou la morale réprouvent.

C’est la française Constance Le Grip (PPE) qui aura la tâche d’être rapporteure du texte et de trouver un consensus entre le Parlement, la Commission et le Conseil. Au final, elle parvient à trouver un texte équilibré, protégeant à la fois le droit à l’information et le savoir-faire des entreprises.
 
 
Ce sont les eurodéputés Verts qui ont été les plus farouches adversaires de ce texte.
«C’est un signal complètement erroné de la part de cette assemblée d’adopter dix jours après les révélations des Panama Papers un texte qui de facto va rendre plus difficile la tâche des lanceurs d’alerte et des journaux», estime Philippe Lamberts, le coprésident belge du groupe Verts-ALE.

Pour Pascal Durand (Verts, France), l’habillage et l’évolution du texte font illusion. En clair : le texte oublie totalement le statut des lanceurs d'alerte, même s'il défend clairement le fait journalistique et la liberté de la presse. 
 

Dans l’affaire LuxLeaks, le lanceur d’alerte Antoine Deltour et le journaliste Edouard Perrin comparaîtront à partir du 26 avril devant la Justice luxembourgeoise. Antoine Deltour, ancien employé du cabinet d'audit PricewaterhouseCoopers (PwC), doit répondre, selon les termes exacts du parquet, «de vol domestique, d’accès ou de maintien frauduleux dans un système informatique, de divulgation de secrets d’affaires, de violation de secret professionnel et de blanchiment-détention des documents soustraits». Un autre collaborateur de PwC se voit reprocher les mêmes faits mais postérieurs. Edouard Perrin, journaliste de Cash Investigation (France 2), doit répondre comme «coauteur ou complice des infractions de divulgation de secrets d’affaires et de violation de secret professionnel et, comme auteur, de l’infraction de blanchiment-détention des seuls documents soustraits par le second collaborateur.»

Selon Constance Le Grip, avec la nouvelle directive, ils ne pourraient pas aujourd’hui être poursuivis.


Au-delà des considérations juridiques, la levée de boucliers contre le texte donne à réfléchir : de Julian Assange à la pétition initiée par Elise Lucet, c’est tout un courant de pensée qui vient défendre les lanceurs d'alerte. De Snowden à LuxLeaks en passant par les Panama Papers, ils provoquent des courants dans les opinions publiques que le politique ne peut ni endiguer, ni ignorer.

Bon nombre de députés ont voté la directive en espérant qu'elle soit suivie, dans un avenir proche d'un texte spécifique consacré au statut des lanceurs d'alerte. C'est du ressort de la Commission européenne, et si elle n'a pas d'idées, elle pourra toujours demander aux Verts de tenir le crayon : un texte est déjà quasiment prêt.



Chiche ? en tout cas, la rapporteure du texte ne botte pas en touche. Preuve que ce qui semblait impossible il y a quelques mois, sous la pression des manchettes de journaux, amène chacun à repenser ses positions.




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