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Pourquoi le Conseil d'éthique allemand veut dépénaliser l'inceste entre frères et sœurs

Outre-Rhin, les Sages ont estimé que "fixer des barrières morales" ne relève pas du droit pénal, dans un avis publié mercredi 24 septembre. En France, l'inceste n'est pas puni pénalement.

Article rédigé par Carole Bélingard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le conseil d'éthique allemand propose de dépénaliser l'inceste, dans un avis rendu mercredi 24 septembre 2014. ( GETTY IMAGES )

Les relations sexuelles consenties entre frères et sœurs adultes ne doivent plus être pénalisées. C'est ce que recommande le Conseil d'éthique allemand dans son avis, publié mercredi 25 septembre. Les Sages ont été saisis après l'histoire très médiatisée d'un couple incestueux de Leipzig. L'homme et la femme, frère et sœur, ont été séparés durant leur enfance (le garçon a été adopté par un autre couple) et ne se sont connus qu'à l'âge adulte, après une jeunesse chaotique. Parents de quatre enfants, dont deux handicapés, ils ont fait l'objet de plusieurs condamnations. Patrick Stübing a passé plus de trois ans derrière les barreaux. Sa sœur et compagne, Susan, a été un temps placée en institution en raison de son retard mental. Ils se sont tournés en vain vers la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, en 2008, puis vers la Cour européenne des droits de l'homme en 2012.

Pour rendre leur décision, les Sages ont auditionné plusieurs couples de frères et sœurs, relate Süddeustsche Zeitung (en allemand), dans un article repéré par Courrier international"Les membres du Conseil d'éthique ont été touchés par la misère sociale des personnes vivant dans l'inceste", explique le quotidien allemand. Francetv info vous explique pourquoi le conseil d'éthique allemand veut dépénaliser l'inceste.

Parce que le droit, ce n'est pas la morale

En Allemagne, l'article 173 du Code pénal, qui date de 1871, punit de "deux ans de prison ou d'une amende" les rapports sexuels entre un frère et une sœur majeure, évoquant notamment les risques accrus de handicap pour les enfants issus d'une telle union, comme le rappelle Le Monde.

Le Conseil d'éthique, à la majorité de 14 membres sur 23 (9 membres ont voté contre) estime que "la loi pénale n'est pas le moyen adapté de protéger un tabou social" ni "d'imposer des standards ou des barrières morales", mais vise seulement à protéger "les individus" et "l'ordre social" contre les atteintes graves, explique un article de Der Spiegel (en allemand), repéré par Courrier international. Or les Sages allemands jugent que ces objectifs sont suffisamment garantis par le Code pénal, qui réprime les viols, les agressions et les atteintes sexuelles, et par la pénalisation de l'inceste entre ascendants et descendants, même majeurs.

En France, l'inceste entre deux personnes qui ont dépassé l'âge de la majorité sexuelle (fixé à 15 ans) ne constitue pas une infraction. "Le rapport sexuel consenti entre deux personnes qui sont parents n'est pas punie pénalement", souligne cette note du Sénat. En revanche, le Code civil interdit le mariage entre "tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne", ainsi qu'entre frères et sœurs, et entre oncles, tantes, et neveux, nièces. Par ailleurs, la filiation d'un enfant né de l'inceste ne peut être établie avec ses deux parents, mais seulement avec l'un des deux. Néanmoins, l'inceste est un élément aggravant dans les affaires de viols ou d’abus sexuels, relève Rue 89.

Parce que le risque génétique est réel, mais il existe aussi pour d'autres couples

Les Sages allemands réfutent l'argument médical. Interdire les relations consanguines repose sur le fait que les enfants d'un couple incestueux ont davantage de risques de présenter des problèmes de santé. Ce qui est effectivement le cas. Mais "ces risques sont bien plus importants chez les personnes porteuses des gènes de maladies génétiques et nul ne songerait à leur interdire d'avoir des relations sexuelles ni de fonder une famille", explique Courrier international.  "Ainsi, personne n'interdirait à un couple, qui a un enfant atteint de mucoviscidose, d'avoir d'autres enfants", argumente dans une interview au Süddeustsche Zeitung (en allemand), Christiane Woopen, spécialiste allemande des questions d'éthique. 

Ariane Giacobino, médecin généticienne, analyse, pour le Huffington Post, le risque de maladies dans les cas de relations incestueuses. "Pour des couples apparentés au 1er degré, (père-fille ou frère-sœur par exemple) le risque (d'anomalies congénitales) est estimé entre 7 et 31% au-dessus de celui de la population générale". explique-t-elle. "Mais tous les couples, et toutes les unions, sont à risque d'avoir un enfant avec une maladie génétique, est-ce donc, pour l'inceste, le fait que le risque génétique soit connu qui définit la nécessité d'interdire ?" ajoute-t-elle.

Parce que c'est contraire à la liberté individuelle

Enfin "selon toutes les données disponibles, l'inceste entre frère et sœur est très rare dans les sociétés occidentales", estime le conseil d'éthique allemand. Pour les Sages, le risque de sanctions contraint les couples concernés "au secret et à la négation de leur amour". Les Sages jugent que c'est contraire au droit à "l'autodétermination sexuelle".

En France, l’inceste est décriminalisé, depuis 1791, justement au nom de la liberté individuelle, écrit Rue 89. En 2009, l'Assemblée nationale s'est posée la question de pénaliser l'inceste, rappelle le site. Pour Fabienne Giuliani, historienne travaillant sur "la vision de l’inceste pendant la Révolution française", si la pénalisation avait été actée, cela aurait réintroduit "une partie de la morale religieuse dans notre droit en légiférant sur des actes sexuels commis entre individus libres". "Je ne parle pas du viol incestueux bien sûr ! Car ce dernier est inscrit depuis bien longtemps dans notre Code pénal", avait-elle ajouté.

Dans Rue 89, l’avocat Julien Fournier, spécialiste du droit des familles, se demande également jusqu'où le droit pénal doit intervenir dans les faits sociaux. Il estime qu'en France, on a tendance à "brandir la loi pénale pour résoudre des faits sociaux qui nous déplaisent, que ce soit pour la question de la prostitution ou de la GPA [Gestation pour autrui] par exemple".

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