Naufrages de migrants : l'UE doit-elle changer de politique ?
Les récents drames survenus au large de Malte et de Lampedusa, où près de 400 migrants se sont noyés en quelques jours, montrent les défaillances du système. Mais plusieurs alternatives sont possibles.
Presque 400 morts en une semaine. Tel est le macabre bilan de deux naufrages de bateaux de migrants survenus l’un à quelques mètres de la plage de Lampedusa (Italie), l’autre au large de Malte. Après les cadavres, les questions. Les yeux se tournent désormais vers l’Union européenne, dont la politique migratoire est critiquée. Ce thème sera au menu du prochain Conseil européen, où François Hollande souhaite proposer une nouvelle politique à ses partenaires.
Car le système Frontex, du nom de l’agence de surveillance des frontières européennes mise en place en 2004, semble montrer ses limites. Malgré son budget conséquent (plus de 85 millions d’euros en 2013), Frontex n’empêche pas les navires de fortune de venir s’échouer aux portes de l’Europe. Le site Fortress Europe livre un lourd décompte : près de 20 000 morts depuis vingt ans, 4 000 depuis 2009, dénombre Le Monde. Que faire pour modifier ce système ? Francetv info dresse une liste des pistes possibles.
1Changer l’accès aux visas
Le visa est le sésame d’entrée sur le territoire européen. Pourtant, les règles régissant sa délivrance compliquent la vie des migrants. "Pour accéder à l'espace Schengen, vous ne pouvez faire qu'une demande dans une seule ambassade", explique Serge Weber, géographe interrogé par francetv info. "Et le visa est accordé de façon très sélective" selon la provenance des demandeurs.
Olivier Clochard, chercheur et président du réseau Migreurop, évoque des "démarches kafkaïennes". Les nouveaux arrivants doivent ainsi "se rendre à la banque, se munir d’un code d’accès afin d’appeler une société qui fournit une liste des documents à avoir. Si l’appel dure plus de cinq minutes, ils doivent rappeler". Il faut ensuite envoyer les papiers au consulat, moyennant 60 euros – non remboursables en cas de refus. Soit un "coût pas négligeable" pour ces personnes. Résultat : il devient presque impossible d’arriver de manière légale en Europe. "Il faut que les Etats membres de l’Union européenne s’engagent à accorder les visas à n'importe quel voyageur", conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme, préconise Serge Weber.
2Revoir l’accès à l’asile
Les procédures de demandes d’asile posent aussi problème. Certains migrants, à l'instar des Syriens, "rencontrent des difficultés à demander l'asile" dans les ambassades présentes dans leur pays, explique Serge Weber. Ce système les pousse à venir "le demander à la nage", déplore la maire de Lampedusa dans Le Monde. Or, une fois arrivés en Europe, la procédure n'est pas plus simple.
Depuis 2003, le règlement Dublin II (en anglais) contraint le réfugié à demander l’asile dans le premier pays où il pose le pied. Ce système entend éviter que les personnes foulant le sol européen n’abusent de leur droit d’asile en formulant des demandes dans plusieurs pays. Mais il rend l’accès au territoire européen très difficile, juge Serge Weber. D'autant qu'un certain nombre d'outils les "dissuadent de faire une demande", tel le fichier Eurodac qui conserve leurs empreintes digitales.
Ce faisant, "l'Europe ne respecte pas la Convention de Genève de 1951" concernant le statut de réfugié, note Serge Weber. Le texte autorise en effet une personne à franchir une frontière sans papiers, dans le cas où elle craint "avec raison d'être persécutée". Pourtant, en l'absence de papiers, les migrants sont placés dans des centres de détention. "Ils ne comprennent pas", observe Olivier Clochard, dont le réseau Migreurop s’oppose à la détention des migrants. "Il faut arrêter de criminaliser l'entrée irrégulière" en Europe.
3Privilégier l’humanitaire, notamment en mer
Cela passe notamment par "un réel accueil" des migrants. Comprendre : mettre de côté l'option sécuritaire et "accentuer l'aspect humanitaire", explique Pierre Henry, directeur général de France Terre d'Asile.Il s'agirait de "mettre davantage de moyens dans le sauvetage en mer, les structures d'accueil et la protection des personnes".
La convention de 1982 de Montego Bay sert de cadre juridique au secours en mer et stipule que les personnes en détresse doivent être secourues. Or, les violations s'accumulent, selon les migrants. "Nombre d'entre eux disent avoir vu passer des bateaux de l'agence Frontex, de la marine marchande ou des pêcheurs sans qu'ils n'interviennent", raconte Olivier Clochard. "Ce n'est [pourtant] pas difficile de sauver ces personnes, de les ramener dans un port sûr et de voir après s'ils sont éligibles à l'asile, plutôt que de les repousser d'emblée", s'exclame Pierre Henry.
Le programme Eurosur, voté le 10 octobre par le Parlement européen, vise notamment à détecter plus facilement les bateaux en difficulté et à venir en aide à leurs occupants. Ce nouveau système de reconnaissance et de transmission des données sera mis en place en décembre. Mais le scepticisme est de mise du côté des spécialistes, qui y voient un nouvel outil sécuritaire.
4Travailler avec les pays de départ
Une autre politique migratoire pourrait aussi s'appuyer sur des actions dans les pays de départ ou de transit. "Quand c'est possible", nuance Pierre Henry. Les pistes ? "Prévenir la migration clandestine, traquer les passeurs qui se font de l'argent sur le dos des plus démunis et travailler à des solutions de développement pour éviter que les jeunes ne partent", énumère-t-il.
Sur la question des passeurs, l'économiste Gary Becker, cité par le blog Classe Eco, propose ainsi de créer des visas de travail payants (5 000 euros pour cinq ans) pour éviter le recours à des filières clandestines, qui coûtent 2 000 euros par voyage en moyenne.
Mais ces actions s'annoncent complexes. Le recours aux passeurs, par exemple, ne relève pas toujours d'un réseau criminel, insiste Pierre Henry. En 2010, des pêcheurs tunisiens, endettés, ont ainsi rempli des bateaux de migrants contre 1 000 euros. Ces actions locales s'inscrivent dans "un chantier très vaste et géopolitique", estime Olivier Clochard. "Il faut que les pays concernés soient dans des processus démocratiques." Difficile en effet de travailler avec la Somalie, la Syrie, la Libye ou l'Erythrée.
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