Naufrage de Lampedusa : les migrants sont "prêts à tout pour rejoindre l'Europe"
Avant le naufrage qui a fait au moins 130 morts, jeudi, au large de Lampedusa, d'autres bateaux ont fait cette route périlleuse. Une journaliste raconte la traversée qu'elle a effectuée en 2011.
Avant le naufrage qui a fait au moins 130 morts, jeudi 3 octobre, au large de l'île italienne de Lampedusa, des milliers d'Africains ont fait ce voyage au péril de leur vie. Alexandra Deniau et Christophe Kenck ont filmé l'un d'entre eux au printemps 2011 pour le magazine de France 2 "Envoyé spécial". Ce jour-là, ils étaient 142 clandestins à bord du rafiot qui quittait Zarzis, en Tunisie. Direction Lampedusa, promesse, pour eux, d'un avenir meilleur. C’était compter sans l’orage, la peur et la promiscuité des corps entassés dans la cale et sur le pont.
Francetv info : Etait-ce compliqué pour les candidats à l'émigration d’organiser leur traversée ?
Alexandra Deniau : Pas du tout. A l’époque, il n’y avait aucune présence de gardes-côtes. Pendant cette révolution du jasmin, un véritable boulevard conduisait vers l’Europe. Des clandestins arrivaient de toute la Tunisie et prenaient, si j’ose dire, leur ticket. Chacun attendait son bus, en quelque sorte. Et les bus, c'étaient des rafiots en fin de vie, bradés par des pêcheurs surendettés et rachetés par des passeurs. Le plus souvent, c'était le dernier voyage possible pour ces embarcations au bout du rouleau. Les passeurs n’avaient qu’un objectif : rentabiliser au maximum chaque centimètre carré du navire. Il fallait remplir la cale, le pont, comprimer tout le monde pour gagner de la place pour d’autres passagers.
Combien coûte la traversée par personne ?
Quand nous avons filmé, c’était autour de 1 500 euros. Et encore, cela dépend de la cupidité du capitaine, entre autres. Car les critères sont nombreux, comme le nombre de bateaux disponibles, par exemple. Quant à la valeur du navire, c’était à peu près 50 000 euros. Mais si l’on prend le récent naufrage et que l’on fait un calcul rapide, comme on sait qu’il y avait à bord près de 500 clandestins, les passeurs ont dû faire un bénéfice qui peut s’évaluer à 500 000 euros. Voilà le prix de la mort massive d’hier.
Comment s’est déroulé votre voyage ?
Les passagers avaient été divisés en deux groupes, l’un dans la cale, l’autre sur le pont. Le bateau craquait de partout et on se disait que s’il arrivait quelque chose, la cale serait d’office un tombeau. Un orage a éclaté, totalement imprévu. Des vagues de plus de 6 mètres de haut balayaient le plancher, où se trouvaient plus de 80 personnes. Et, tout cela en pleine nuit. On crevait de peur et tous les clandestins s’étaient mis à genoux pour prier d’une seule voix. Ils étaient résignés, prêts à tout pour rejoindre l’Europe. Cette image, je la garderai toute ma vie en mémoire.
Et l’arrivée sur l’île de Lampedusa, c’est une libération ?
Finalement, le bateau a tenu. Là-bas, le port est très protégé, la mer était d’huile. Tout le monde était hébété. On sentait un grand soulagement, mais c’était très bref. Parce que Lampedusa, c’est un confetti dans la Méditerranée. Des milliers de clandestins arrivent là, et il n’y a pas la place pour les accueillir. Alors, comme dans le bateau, ils sont entassés dans des conditions parfois terrifiantes. Et le cauchemar continue.
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