Valérie Osouf, une Parisienne engagée dans une lutte acharnée pour le droit d'asile
On la voit agir aux côtés des migrants sur les campements qui se succèdent à Paris depuis dix mois. Cette quadragénaire se définit comme une "personne solidaire" et dit ne faire que son devoir de citoyenne. Francetv info l'a rencontrée.
"C'est toujours pareil. On n'est pas inclus dans la boucle et on est stigmatisés en tant que soutiens de réfugiés." Valérie Osouf est en colère. Mais, dans sa voix éraillée, il y a aussi une forme de lassitude. Ce 21 mars, cette Parisienne de 43 ans est debout, au milieu de quelques migrants, un sac en bandoulière, le dos crispé. Sa tête dépasse du groupe. Ses cheveux châtains, mi-longs, s'agitent quand elle parle.
Dans la vie, Valérie Osouf est réalisatrice de documentaires. Mais, depuis dix mois, elle passe son temps à aider les migrants installés dans des campements de fortune disséminés dans la capitale. Le dernier en date était installé aux abords de la station de métro Stalingrad, sous la partie aérienne. Un enchevêtrement de sacs de couchage jetés sur des matelas posés à même le sol, au milieu des détritus.
"Un dialogue de sourds"
Le campement a été évacué mercredi 30 mars, au petit matin. Les réfugiés étaient un millier selon les autorités, 650 selon les associations. Les jours précédents, beaucoup étaient sur place en attendant l'évacuation. Ils savaient qu'à ce moment-là, ils pourraient obtenir une place dans un centre d'hébergement d'urgence. C'est toujours mieux qu'un campement insalubre pour la plupart, mais pas tous.
C'est ce qui révolte Valérie Osouf : "Les centres d'hébergement d'urgence sont déjà très durs à vivre pour les personnes qui vivent dans la rue depuis des années, ils ne conviennent pas à des réfugiés, des personnes qui ont dû fuir leur pays et ont besoin d'un suivi juridique et médical spécifique." Elle réclame un lieu d'accueil digne pour tous ces réfugiés. Des hommes. Des femmes. Des adolescents. Parfois des familles. Elle ne comprend pas que la préfecture d'Ile-de-France, ou la mairie de Paris, refuse.
Soit ils sont hostiles au droit d'asile et ils n'ont qu'à le dire. Soit ils y sont favorables et ils n'ont qu'à ouvrir des gymnases ! On ne demande que l'harmonisation des conditions d'accueil. Mais non, c'est toujours pareil. Depuis dix mois, c'est un dialogue de sourds.
"J'ai apporté des croissants, et je ne suis jamais partie"
L'engagement de Valérie Osouf commence le 8 juin 2015, après que les CRS ont délogé des dizaines de migrants d'un campement de la rue Pajol, non loin du métro Stalingrad. Son quartier. "J'ai pris une heure pour apporter des croissants. Je ne suis jamais partie." C'est ainsi qu'elle est devenue bénévole. Un terme qu'elle rejette. "Je préfère dire 'personne solidaire', explique-t-elle. Je fais pression sur le gouvernement pour qu'il remplisse son devoir sur le droit d'asile, c'est tout. Je n'ai aucune vocation à être travailleuse sociale."
Le campement de la rue Pajol se reforme. Jusqu'à une nouvelle évacuation, fin juillet. Valérie Osouf est là. Elle est là aussi le lendemain, lorsqu'une centaine de migrants envahissent le local de Ni putes ni soumises. Et encore là lorsqu'une occupation prend forme au lycée Jean-Quarré. Et ainsi de suite. A chaque fois, elle aide à remplir les demandes d'asile, épaule pour les démarches administratives, aide à fournir nourriture, couvertures... "C'est facile. Tu te mets à leur place, et tu te demandes de quoi tu aurais besoin."
L'opération de mercredi est la dix-neuvième organisée à Paris depuis le 2 juin 2015, d'après le ministère de l'Intérieur et la mairie de Paris. Valérie Osouf, elle, compte vingt-sept campements. "On supplée l'Etat pendant des semaines, on s'épuise et on n'est même pas considérés", soupire-t-elle.
"J'ai plutôt des bons potes"
"A chaque évacuation, 40 à 60 personnes se retrouvent sur le carreau", déplore Valérie Osouf. C'est à nouveau le cas après l'évacuation de mercredi. Plus de 100 personnes se retrouvent sans rien, selon elle. 30 ont été arrêtées, jeudi, lors de contrôles d'identité. "Par exemple, ceux qui étaient partis faire pipi n'ont pas pu prendre le bus pour le centre d'hébergement, tout simplement."
Les besoins les plus primaires prennent souvent le dessus. Pour se laver, même problème. Alors Valérie Osouf les invite à prendre des douches chez elle, de même que d'autres membres du collectif et riverains de campements. D'autres encore accompagnent les migrants aux douches municipales.
Pas de méprise : Valérie Osouf s'est fixée ses propres limites. Séparée depuis peu, elle a des enfants qui comprennent bien son engagement, surtout l'aîné. Elle s'est fait des amis, mais la relation ne va pas au-delà.
Il me semble difficile pour celles et ceux qui le vivent de construire une histoire d'amour chouette sur une base aussi inégalitaire.
"Je connais un réfugié qui s'est marié avec un soutien mais il avait déjà obtenu l'asile assorti d'un titre de séjour de 10 ans avant de s'engager dans cette relation, mais moi j'ai plutôt des bons potes", confesse-t-elle. Elle en recense quinze. Journalistes, traducteurs, étudiant en économie, informaticien, styliste… "Ce sont plutôt les 'bourges' réfugiés, reconnaît-elle. Enfin, je veux dire ceux qui ont fait des études, car je ne parle pas arabe ni pashto donc ce sont ceux avec lesquels je peux dialoguer en anglais."
Une pneumonie attrapée sur le campement de Stalingrad
Valérie Osouf est loin d'être seule : elle appartient au collectif La Chapelle debout, qui n'est lié à aucun parti ni syndicat. Ce collectif s'efforce de faire émerger la parole et la pensée des migrants, en organisant, par exemple, des colloques avec des réfugiés comme conférenciers. "La seule conviction politique qui m'anime dans cette action est l'antiracisme", commente Valérie Osouf.
Sur Facebook, il rassemble près de 14 000 membres. Il permet aux bénévoles de coordonner leur aide. Par exemple, Aubépine, une sociologue du même âge que Valérie, cuisine chez elle puis apporte des plats. "J'ai commencé par faire à manger dans des marmites que j'apportais en Caddie. Aujourd'hui, les réfugiés sont beaucoup plus nombreux, alors je cuisine une fois toutes les deux semaines. On a un roulement."
"C'est seulement quand il y a un campement qu'il y a une évacuation et ensuite des hébergements", déplore également Aubépine. "Valérie dirait : 'ce sont tous des c...' Moi, je fais la nuance entre deux attitudes vis-à-vis des réfugiés. La mairie de Paris traîne des pieds, mais ne sabote pas comme l'Etat. C'est difficile, car cela ne fonctionne que sous pression. On est crevés…"
Valérie Osouf ose à peine le dire, mais elle est très fatiguée. "Ce serait indécent de se plaindre face aux réfugiés." Mais ses traits tirés parlent pour elle. "J'ai une pneumonie, je l'ai attrapée sur le campement. Je suis sous antibios depuis huit jours." "Tu as aussi eu la gale", souligne un bénévole à ses côtés. Elle a croisé des réfugiés atteints de la tuberculose. Elle est consternée de voir que les autorités laissent de telles maladies se développer en plein cœur de Paris. Elle se dit écœurée, mais ne voit pas comment elle pourrait arrêter. "Bientôt, il y aura un nouveau campement de rue, et puis c'est tout. C'est ridicule."
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