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Pierrefitte-ès-Bois, 290 habitants, 26 migrants : "Les gens ne vous diront pas ce qu'ils pensent"

Dans ce village qui a voté à 52,5% pour le Front national aux dernières élections départementales, 26 demandeurs d'asile venus de Calais sont hébergés dans un centre de vacances. 

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
L'entrée du village de Pierrefitte-ès-Bois (Loiret), le 3 novembre 2015. (CAMILLE CALDINI / FRANCETV INFO)

"A compter de ce jour, le bar ne sera plus ouvert le vendredi matin." Le patron, Hervé Le Moal, également traiteur, n'a "pas de commentaire à ajouter". C'était l'un des rares lieux de vie sociale, à Pierrefitte-ès-Bois, petit village agricole du Loiret. Il ne reste que l'épicerie voisine, installée dans un local communal, qui vend quelques produits de base, trois matins par semaine. L'église, dont la flèche penche sérieusement, n'accueille plus de messe depuis longtemps, sauf à Noël, certaines années. Les rues sont calmes, mardi 3 novembre. Seule la maire, Ghislaine Beaudet, échange quelques mots avec l'épicier, avant de nous rejoindre devant la mairie.

La porte du bar d'Hervé Le Moat, à Pierrefitte-ès-Bois, le 3 novembre 2015. (CAMILLE CALDINI / FRANCETV INFO)

Pour expliquer la porte close du bistrot, il faut remonter, au moins, au mardi précédent, quand l'élue de Pierrefitte-ès-Bois a accueilli, "avec [son] écharpe bleu-blanc-rouge – mais ça, ils s'en fichaient sûrement, ils étaient épuisés –", 26 migrants en provenance de Calais.

Ils font partie des quelque 300 migrants qui ont renoncé à rejoindre l'Angleterre pour demander l'asile en France et être "mis à l'abri", selon les termes de la préfecture du Pas-de-Calais, dans d'autres régions de France, loin de la "jungle" surpeuplée et insalubre. Une cinquantaine ont été transférés vers le Loiret. Le centre de vacances de Pierrefitte-ès-Bois, qui appartient à l'Etat, accueille le contingent le plus important : 24 Soudanais, un Erythréen et un Syrien, qui vivent à présent à quelques pas du café d'Hervé Le Moal.

"Les habitants doivent croire que je leur ai menti"

"Disons-le tout de suite, aux dernières élections départementales, Pierrefitte a voté à 52,5% pour le Front national", annonce d'emblée Ghislaine Beaudet, accoudée à son bureau, où traînent quelques autocollants "J'<3 ma commune". "Mais les électeurs ont aussi voté pour un conseil municipal [sans étiquette] qui est très ouvert à l'idée d'aider des migrants", poursuit-elle, avant d'ajouter en riant : "Ils se sont peut-être trompés." Ghislaine Beaudet connaît tout le village, qui compte moins de 300 habitants, elle sait "qui pense quoi de l'accueil de ces personnes".

Début octobre, avant le conseil municipal qui a validé la décision, elle a organisé une réunion publique à laquelle ont assisté "entre 80 et 100 personnes". "A l'époque, la préfecture parlait d'accueillir des familles, cela nous avait paru très positif pour le village." La commune se dépeuple année après année, et l'arrivée d'enfants aurait notamment renfloué les effectifs de la classe unique de primaire, que la maire tient à garder. Mais ce sont 26 hommes seuls, tous demandeurs d'asile, dont la plupart ont autour de la trentaine, qui sont arrivés trois semaines plus tard. "Les gens doivent croire que je leur ai menti", déplore Ghislaine Beaudet.

"Même les élus municipaux préfèrent ne pas faire de bruit"

L'élue dit avoir entendu "des choses désagréables" sur les migrants, pendant cette réunion. Elle ne les répète pas et aucun des habitants croisés dans les parages ne semble disposé à en parler. "Les gens ne vous diront pas ce qu'ils pensent", prévient Ghislaine Beaudet. Dans un village où tout le monde se connaît, un visage inconnu et une immatriculation dans un autre département attirent les regards, mais n'invitent pas à la conversation. "Non merci", nous dit-on en tournant les talons. "Même les conseillers municipaux préfèrent ne pas faire de bruit", nous confie un correspondant de l'hebdo local, Le Journal de Gien.

Avant sa fermeture, c'est dans le bar d'Hervé Le Moal que se retrouvaient régulièrement "ceux qui ont émis les plus vives critiques sur cet accueil", explique le journal. Et le propriétaire "n'est pas franchement pro-réfugiés", nous confie le correspondant. Alors quand un adjoint à la mairie a déconseillé (pour faire une boutade, assure-t-il) aux nouveaux arrivants de se rendre au café le vendredi matin, Hervé Le Moal a pris la mouche et fermé l'établissement.

"Nous sommes noirs, ils ne sont pas habitués"

La société Adoma (ex-Sonacotra), qui a pris en charge ces migrants, refuse aussi de communiquer. "Il est encore trop tôt", nous répond la direction nationale, qui souhaite que les demandeurs d'asile s'installent "en toute quiétude". Impossible, donc, d'entrer dans le centre. Et si ces nouveaux venus peuvent circuler librement dans le village, il n'y a pas grand-chose à y faire. De toute façon, "entre les cours de français et les cours de cuisine, ils sortent peu", selon Ghislaine Beaudet.

En patientant devant le centre d'accueil, Le Journal de Gien a pu rencontrer trois Soudanais, qui confient simplement : "Les gens nous regardent, c’est normal, nous sommes noirs et ils ne sont pas habitués." La semaine précédente, la presse locale a tout de même raconté un match de football entre ces demandeurs d'asile et des ados. "Une initiative qui a infiniment touché les nouveaux arrivés", commente La République du CentreUn événement que nous rapportent aussi la maire du village et plusieurs habitants des communes voisines, comme si cette rencontre autour d'un ballon était la preuve que la cohabitation n'est pas si compliquée.

Ghislaine Beaudet "espère qu'il n'y aura pas d'incidents", mais elle sait "que ça n'arrivera pas avec les Pierrefittois". "Il y a pas mal de militants d'extrême droite dans la région", dit l'édile, qui craint "que des cambriolages soient organisés pour faire accuser les migrants".

Le soir d'Halloween, à Gien, à 30 kilomètres de là, des personnes déguisées ont brisé des vitrines et tagué "immigrés assistés" et "la France aux Français" sur la porte des Restos du cœur et de plusieurs locaux syndicaux. A Pierrefitte-ès-Bois, les murs des petites maisons sont intacts. La seule chose qui ait changé, c'est ce bar fermé.

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