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"Nous vivons l'enfer" : isolés sur l'île de Manus dans le Pacifique, des centaines de réfugiés appellent à l'aide

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des réfugiés refusent de quitter leur camp sur l'île de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée), le 10 novembre 2017. (HASS HASSABALLA/AP/SIPA)

Le camp de l'île de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée) a été ouvert par l'Australie pour détenir les demandeurs d'asile. Il a été officiellement fermé le 31 octobre, mais les réfugiés refusent de quitter l'île.

Manus a tout du petit paradis tropical. Ce petit bout de terre, d'une superficie d'environ 2 000 km2, est perdu au milieu de l'océan Pacifique, au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Mais loin du paysage de carte postale, l'île héberge aussi l'un des camps de réfugiés les plus contestés de la région. Créé en 2001 par l'Australie pour détenir ses demandeurs d'asile et traiter leurs dossiers, le camp a été officiellement fermé le 31 octobre dernier, jugé anticonstitutionnel par la Cour suprême de Papouasie.

L'île de Manus située au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. (FRANCEINFO)

Depuis, près de 700 réfugiés originaires d'Irak, du Sri Lanka, d’Iran ou d’Afghanistan, y sont toujours barricadés, sans eau, ni électricité, ni nourriture. Ils refusent de quitter leur centre, de peur d'être agressés par des habitants, mais aussi d'être déplacés dans d'autres centres de "transition". "Je ne veux pas quitter un centre pour un autre, je veux ma liberté. Je veux connaître mon futur", explique l'un d'entre eux, Fahad al Badry, à franceinfo. 

Originaire d'Irak, le jeune homme de 26 ans est arrivé il y a quatre ans et demi sur l'île de Manus et n'a jamais pu la quitter. Après avoir pris l'avion jusqu'en Indonésie, il a été arrêté par l'armée australienne alors qu'il tentait de rejoindre l'Australie en bateau. "Depuis 2013, tous les migrants qui arrivent par la mer sont transférés ici de force, raconte-t-il. Je ne sais pas pourquoi je suis détenu, je n'ai commis aucun crime." 

Une situation d'"urgence humanitaire"

Dans les quatre camps que compte l'île – Oscar, Delta, Mike et Foxtrot – les réfugiés sont désormais livrés à eux-mêmes. "On a creusé des trous dans le sol et on a mis des poubelles pour récolter l'eau de pluie, qu'on utilise pour boire et se laver, décrit Fahad al Badry. Là, il est 23 heures, je suis dans une petite pièce où il fait complètement noir et très chaud." Sur les réseaux sociaux, des réfugiés publient des images d'hommes dormant à même le sol, sous des structures bancales faites de tôles.

Des réfugiés de l'île de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée) récoltent de l'eau de pluie dans des poubelles, le 10 novembre 2017. (HANDOUT / GETUP)

Les réfugiés vivent encore sur leurs réserves, "mais c'est loin d'être suffisant", déplore Fahad al Badry. Les associations n'ont pas accès au camp, les services sociaux ont déserté, les médicaments nécessaires manquent. "Environ 20% des détenus sont sous antidépresseurs pour cause de dépression ou de stress post-traumatique", a déclaré le sénateur vert australien Nick McKim, après une visite au centre fin octobre. Nombre d'entre eux n'arrivent plus à dormir, raconte Behrouz Boochani, un Iranien, sur Twitter.

En ce moment, des centaines d'hommes nus sont couchés autour de moi. Ils sont affamés et ils s'affaiblissent. Je n'ai pas les mots pour décrire ce désastre créé par l'Australie, cela restera dans l'histoire.

Behrouz Boochani, iranien

sur Twitter

D'après les médias locaux, certains migrants ne sont jamais sortis du centre depuis leur arrivée et font des crises de nerfs à l'idée d'en sortir. Cette année, deux réfugiés se sont suicidés. L'ONU a décrit une situation "d'urgence humanitaire". "Si les autorités n'agissent pas immédiatement, le risque est réel que la situation se détériore de façon catastrophique", renchérit la responsable d'Amnesty pour le Pacifique.

Des réfugiés dorment dans le dortoir du centre de rétention de l'île de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guineé), le 10 novembre 2017. (HANDOUT / GETUP)

"Si vous venez en ville, nous vous tuerons un par un"

Ceux qui osent s'aventurer à l'extérieur doivent affronter la colère des habitants de l'île. A Lorengau, la capitale de la province, les agressions se sont multipliées ces derniers mois, rapporte le Guardian (en anglais). La ville "mono-culturelle, très soudée et conservatrice", voit d'un mauvais œil la présence de ces hommes. La plupart d'entre eux racontent avoir trop peur de sortir après la tombée de la nuit, par crainte de se faire attaquer et voler.

Beaucoup de mes amis ont été battus, ils ont subi des vols ou des agressions (...) Si on se rend au poste de police, ils n’ouvrent pas d’enquête appropriée.

Imran, réfugié rohynga

à l'ONG Human Rights Watch

"Quelqu’un m’a attaqué, ils ont tout pris : mon argent, mon téléphone, ils avaient un grand couteau et m’ont donné un coup au bras", reprend Joinul dans une vidéo (en anglais) de l'ONG Human Rights Watch. "Nous recevons des menaces de la part des habitants disant 'si vous venez en ville, nous vous tuerons un à un, il y aura beaucoup de sang versé', raconte Abdul Aziz Adam à la BBC (en anglais). Nous vivons l'enfer."

Capture écran de la vidéo YouTube de l'organisation Human Rights Watch, sur le camp de réfugiés de l'île de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée), le 16 novembre 2017. (HUMAN RIGHT WATCH)

Les agresseurs seraient des petits groupes de jeunes locaux, souvent ivres et armés de couteaux, qui attaqueraient les étrangers pour leur voler téléphones portables et économies, "sans être inquiétés par les forces de l'ordre", décrit Le Monde. Les réfugiés craignent la police locale, décrite comme inhumaine, notamment depuis février 2014. A la suite d'un mouvement de protestation, des policiers avaient alors participé avec des habitants à une violente prise d'assaut du camp. Un réfugié iranien est mort et 51 personnes ont été blessées. Reza Barati a été frappé par un bâton couvert de clous et, alors qu'il gisait sur le sol, a reçu une pierre sur la tête, décrit le Guardian (en anglais).

Une politique migratoire drastique

Après la fermeture du camp le 31 octobre, la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern a proposé d'accueillir 150 réfugiés. Une offre rejetée par son homologue australien Malcolm Turnbull. Pas question de dévier de la politique anti-immigration extrêmement dure menée par Canberra depuis 2013. L'Australie, qui a versé des millions à la Papouasie-Nouvelle-Guinée pour gérer le camp et les réfugiés, n'en accepte aucun sur son sol, pas même ceux qui remplissent les critères du droit d'asile. Elle propose aux réfugiés de s'installer définitivement en Papouasie-Nouvelle-Guinée, d'être transférés vers un autre centre de rétention, d'être relocalisés dans un pays tiers comme le Cambodge ou les Etats-Unis ou de rentrer dans leur pays.

"Il est abominable, cruel et honteux que les autorités d’Australie et de Papouasie-Nouvelle-Guinée aient créé cette crise et placé les réfugiés, qui espéraient trouver une protection en Australie, dans une situation aussi désespérée", déplore Amnesty International. Face à cette impasse, les réfugiés n'ont pas d'autre choix que d'attendre : "L'état d'esprit actuel, c'est la détresse et la dépression", décrit Abdul Aziz Adam, un réfugié soudanais. "On s'entraide, on tente de s'entraider. Simplement pour rester en vie". 

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