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Des milliers de migrants bloqués en Croatie : "C'est le chaos, la catastrophe"

Face à une Hongrie barricadée, près de 5 000 migrants se sont réfugiés jeudi à la gare de Tovarnik, ville croate à la frontière serbe, où ils attendent un train ou un bus pour continuer leur trajet vers l'ouest. Dépassées, les autorités croates peinent à gérer la situation.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Des migrants dorment par terre à la gare de Tovarnik (Croatie). (ELISE LAMBERT / FRANCETV INFO)

"Laissez-nous passer ! Regardez, j'ai ma femme, deux enfants !" supplie un père syrien, le visage en sueur, face au cordon de policiers qui lui fait face. "On est là depuis hier soir, on doit partir, prendre le bus !" crie-t-il en désignant un car immaculé, garé quelques mètres plus loin. Comme ce père de famille, des milliers de candidats à l'exil attendent jeudi 17 septembre, à la gare croate de Tovarnik, de prendre un bus ou un train pour rejoindre Zagreb, la capitale, et continuer leur exode vers l'Europe occidentale. "Attendez, attendez, vous ne pouvez pas tous passer ! Il n'y a plus de places !" crie un policier, rougi par la chaleur, tentant tant bien que mal de contenir la foule, de plus en plus massive, qui force le passage.

Soudain, plusieurs migrants parviennent à franchir la barrière et se mettent à courir en direction des bus, ouvrant le passage au reste de la foule. En quelques secondes, des centaines de personnes complètement paniquées se ruent vers les véhicules. Incapables de gérer la situation, les policiers croates tentent de bloquer certaines d'entre elles en criant, puis les laissent passer, complètement dépassés.

Une foule de migrants a réussi à franchir le cordon de policiers et se rue vers les bus, à Tovarnik (Croatie). (ELISE LAMBERT / FRANCETV INFO)

Dans la bousculade, les parents, enfants dans les bras et sur les épaules, hurlent à la recherche de leurs derniers proches, tandis que d'autres, les bras chargés d'affaires, trébuchent sur le chemin de terre. Des enfants crient, et des mères, le visage en pleurs, luttent pour ne pas se faire renverser. Sur le bas-côté, un homme, tombé par terre, gît inconscient. Assise à ses côtés, sa femme en larmes appelle à l'aide, tandis qu'un proche tente de le réanimer. 

"Pas de train, pas de bus"

Une dizaine de mètres plus loin, à l'arrière de la gare, des milliers de personnes n'ont rien vu de la scène. Entassées autour de la station depuis parfois deux jours et exténuées, elles attendent de pouvoir partir. Après l'annonce, mercredi 16 septembre, du gouvernement croate de laisser passer sans encombre les migrants à ses frontières, des milliers d'individus bloqués à la frontière serbo-hongroise ont trouvé refuge à Tovarnik, dans l'espoir de poursuivre rapidement leur route vers l'Europe occidentale. En vain.

Des migrants devant la gare de Tovarnik, jeudi 17 septembre 2015. (ELISE LAMBERT / FRANCETV INFO)

Le thermomètre affiche plus de 35 degrés en plein après-midi, et l'air est très sec. Plusieurs candidats à l'exil tentent de remplir des bonbonnes d'eau près d'un robinet et s'en aspergent le visage. Le sol est couvert de détritus, de restes de nourriture et de vêtements. Des mamans font la queue avec leurs enfants devant des toilettes provisoires, complètement pleines. Une odeur fétide s'en échappe et des insectes tournent autour.

Originaire d'Afghanistan, cette famille attend depuis mercredi soir de pouvoir quitter la gare de Tovarnik. (ELISE LAMBERT / FRANCETV INFO)

Non loin, un groupe de Syriens, étalés sur des couvertures, attend de partir. "On a très faim, on a une femme enceinte avec nous et rien à manger, hormis un peu de pain", déplore Mahmoud, un jeune assistant en pharmacie. Arrivé avec cinq amis originaires d'Alep dans la nuit de mercredi, il n'a pas mangé depuis plusieurs jours et est complètement déboussolé : "On devait arriver en Croatie et être libre, mais là on ne comprend rien à ce qu'il se passe. Quand allons-nous pouvoir partir ?"

Près de la porte de la gare fermée, Rami, 45 ans, déambule, l'air hagard. Vêtu d'un survêment rouge et de simples tongs, il a un pied bandé et le visage noirci par la poussière. "Je suis arrivé ce matin depuis Belgrade (Serbie) en bus", explique-t-il. Son prochain objectif : la Slovénie. Lui aussi se lamente d'être "encore bloqué", "si près du but". "Qu'est-ce que je peux faire ? Je n'ai rien, à part un peu d'argent. Ici, il n'y a rien ! Pas de commerces, rien pour manger ni pour se laver !" 

Rami, 45 ans, était commerçant à Alep, il a pris un bus de Belgrade vers Tovarnik (Croatie) le 17 septembre. (ELISE LAMBERT / FRANCETV INFO)

Dans toutes les conversations, on se demande quand viendra le prochain bus. "On nous a promis un train à 11 heures, puis ça a été 14 heures et maintenant 18 heures. Nous sommes vraiment très déçus", explique Mohamad, un Afghan de 42 ans. "Nous remercions la Croatie de nous accueillir. Mais, nous, nous voulons aller en Allemagne ou en Suède !" Si ce n'est pas possible, le quadragénaire pense aussi à la France : "Le président français, il est comme Angela Merkel. Il a dit qu'il nous accueillerait, non ?" interroge-t-il.

Face à eux, près de 500 policiers croates font barrage vers la ville. Arrivés mercredi, ils tentent de gérer la situation avec le sourire, malgré les débordements. "La situation est ingérable", confie l'un d'entre eux. "Nous ne sommes au courant de rien, nous ne pouvons même pas informer les gens. C'est vraiment le chaos, une vraie catastrophe". Avec ses collègues, ils répètent à l'envi la même formule : "Pas de bus, pas de trains !"

Un policier croate distribue des pommes à des migrants. (ELISE LAMBERT / FRANCETV INFO)

Le "dernier passage vers la liberté"

A trois kilomètres de là, au poste-frontière de Sid, en Serbie, des dizaines de cars et de taxis continuent d'arriver, et de déposer à l'entrée du chemin poussiéreux qui mène à la gare de Tovarnik des centaines de passagers venus de Belgrade ou de Horgos, à la frontière serbo-hongroise. A travers les champs de maïs, une file interminable de familles et de petits groupes prennent la direction de Tovarnik, sans broncher, bouteilles et bidons d'eau suspendus à leurs sacs. "Enfin ! On arrive en Croatie !" sourit Karrat, un Irakien de 53 ans. Après avoir payé un ticket de bus à 10 euros, ce père de famille est arrivé dans la matinée depuis Belgrade. "Une heure trente de route, pour le dernier passage vers la liberté !"

Des migrants sur la route entre la Serbie et la Croatie, le 17 septembre 2015. (ELISE LAMBERT / FRANCETV INFO)

Le visage fatigué, des enfants laissent manteau et couverture sur le bord du chemin à cause de la chaleur. Malgré la fatigue et la faim, la plupart gardent le sourire. "On a tellement été mal traités à la frontière hongroise qu'arriver ici est inespéré", confie Aziz, un jeune Syrien originaire de Damas. Près de 9 000 personnes sont entrées dans le pays dans la seule journée de jeudi. La Croatie a fermé dans la soirée une partie de ses frontières avec la Serbie. "Après cette dernière étape, on ira en Slovénie, puis en Autriche et en Allemagne. On a presque réussi !"

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