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Alliée de la Biélorussie, médiatrice, simple observatrice... Quel rôle tient la Russie dans la crise migratoire à la frontière polonaise ?

Moscou réfute toute responsabilité dans les tensions à la frontière de l'Union européenne, mais son influence dans la région et ses intérêts sont en jeu.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le président russe Vladimir Poutine à Moscou, le 15 novembre 2021. (ALEKSEY NIKOLSKYI / SPUTNIK / AFP)

La Russie va-t-elle aider à résoudre la crise opposant Minsk et Bruxelles ? Vladimir Poutine et Emmanuel Macron se sont accordés sur une "désescalade" à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, a annoncé la présidence française lundi 15 novembre, à l'issue d'un appel de près de deux heures entre les deux chefs d'Etat. Les Européens accusent Minsk d'organiser depuis l'été un afflux de migrants aux portes de l'UE, en représailles de sanctions occidentales. "Notre espoir est que ce long entretien [entre Paris et Moscou] pourra dans les jours qui viennent apporter des résultats sur le terrain", a précisé l'Elysée, ajoutant que Vladimir Poutine s'était engagé à "parler de ces questions" avec son homologue biélorusse.

Jusqu'ici, la Russie était restée sur une ligne de crête, entre soutien à Minsk et distanciation avec la crise. Ainsi, mercredi 10 novembre, le Kremlin s'inquiétait de la "catastrophe humanitaire qui se prépare" à la frontière, tout en envoyant une patrouille de bombardiers sillonner l'espace aérien biélorusse, relève La Croix. Deux jours plus tard, les troupes russes et biélorusses menaient conjointement des exercices près de la frontière avec la Pologne, alors que Moscou invitait l'UE à "rétablir le contact" avec Minsk.

Poutine assure n'avoir "rien à voir là-dedans"

"Ces deux pays sont alliés d'un point de vue géopolitique. La Russie veut que la Biélorussie reste dans son giron et donc éviter tout rapprochement avec l'Union européenne et l'Otan, comme cela a pu être le cas avec des pays voisins comme l'Ukraine", rappelle Alexandra Goujon, maître de conférence en sciences politiques à l'université de Bourgogne, interrogée par franceinfo.

"On remarque que Vladimir Poutine n'a pas condamné les actions de la Biélorussie."

Alexandra Goujon, politologue

à franceinfo

Faut-il voir l'influence de la Russie dans cette crise migratoire ? Le Premier ministre polonais a lancé des accusations en ce sens, le 10 novembre, affirmant que "le cerveau était à Moscou". "C'est possible, mais nous n'avons pour l'heure aucune preuve", modère l'historien britannique Mark Galeotti dans les colonnes de La Croix. "Alexandre Loukachenko a une autonomie d'action et il est envisageable que cette crise migratoire en soit l'exemple, abonde Alexandra Goujon. Lorsque que le dirigeant a menacé de couper l'approvisionnement en gaz de l'Europe, alors que c'est le géant russe Gazprom qui gère le pipeline traversant la Biélorussie, Vladimir Poutine est intervenu pour rassurer l'UE."

Le président russe a une nouvelle fois pris ses distances avec la crise, samedi 13 novembre, lors d'un entretien avec la chaîne Vesti : "Je veux que tout le monde le sache, nous n'avons rien à voir là-dedans." Il a ensuite renvoyé les deux parties dos à dos en appelant à des discussions entre Bruxelles et Minsk "dans un futur proche". "D'après ce que j'ai compris, Alexandre Loukachenko et [la chancelière allemande Angela] Merkel sont prêts à se parler", a-t-il insisté.

"Moscou veut montrer que cette zone est sa chasse gardée"

Pour Alexandra Goujon, cette position sert un double objectif. "Elle permet à Moscou de se déresponsabiliser face aux tensions mais elle redonne aussi de la légitimité au chef d'Etat biélorusse, en l'imposant comme interlocuteur", souligne-t-elle. L'UE conteste en effet les résultats de la présidentielle de 2020, qui a vu Alexandre Loukachenko reconduit avec plus de 80% des voix. Depuis, son régime a organisé la violente répression de toute contestation du pouvoir, allant jusqu'à dérouter un avion vers Minsk pour arrêter un opposant qui se trouvait à bord.

Au-delà de cette crise migratoire, Vladimir Poutine cherche à renforcer sa position face à une Union européenne qu'elle juge "expansionniste", analyse Alexandra Goujon. "Moscou veut montrer à Bruxelles que cette zone, qui comprend la Biélorussie, l'Ukraine et la Moldavie, est sa chasse gardée, explique la politologue à franceinfo. L'objectif n'est pas tant d'aider Alexandre Loukachenko à se maintenir au pouvoir : la Russie est engagée dans un rapport de force à bien plus long terme."

"Moscou ne veut pas porter la responsabilité de cette crise, mais elle lui permet de réaffirmer son pouvoir dans la région."

Alexandra Goujon, politologue

à franceinfo

"Il existe deux hypothèses : soit Poutine encourage, soit il laisse faire, abonde un haut responsable du Conseil européen, cité anonymement par Le Monde. Soit il utilise Loukachenko dans une tentative de déstabilisation de l'Union, soit il a décidé de le laisser agir et d'utiliser la migration comme une arme, sans user de son influence considérable auprès de lui."

Les déclarations de l'Elysée, lundi, laissent supposer que Vladimir Poutine a entendu les appels des Européens à intercéder auprès d'Alexandre Loukachenko. "Il est évident que si la Russie n'est pas une part du problème, elle est au moins une partie de la solution", avait garanti le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Clément Beaune, quelques jours plus tôt sur BFM TV. D'autant plus que cette médiation pourrait servir les intérêts du Kremlin. "L'objectif de la Russie est de montrer qu'elle peut influencer Minsk, résume Alexandra Goujon. Et donc qu'elle est un interlocuteur incontournable dans cette région."

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