A Calais, dans la "jungle" démantelée, Ahmed, Sahar et tant d'autres n'ont "pas envie de partir si près du but"
Le démantèlement du plus grand bidonville de France a débuté dans le calme, lundi, à Calais. Alors que l'Etat entend vider la "jungle" de ses migrants, beaucoup continuent cependant de rêver d'un avenir au Royaume-Uni.
"Où sont les bus pour l'Angleterre ? Où sont les bus pour l'Angleterre ?" Petite mine, yeux clairs, Sahar, un jeune de 27 ans venu d'Afghanistan, s'exclame en regardant passer un car filant tout droit vers la rocade est de l'autoroute de Calais (Pas-de-Calais). A l'intérieur, une cinquantaine de migrants font leur adieu à la "jungle", en route vers l'un des 287 centres d'accueil et d'orientation répartis un peu partout dans l'Hexagone pour les héberger.
Sur le bord de la chaussée, près du hangar où sont enregistrés les aspirants au départ, une foule compacte se presse depuis le début du démantèlement, lancé lundi 24 octobre à l'aube. "The jungle, it's finish", répètent les migrants, sans véritablement savoir où ils vont atterrir. Gilet fluo sur les épaules, une jeune bénévole leur explique inlassablement : "Vous avez le choix entre deux destinations uniquement en France."
Valise à la main, Sahar observe la scène, déçu. Puis jette un œil blasé vers le bidonville, situé à un peu plus de 500 m de là. "Pour moi, la 'jungle', ce n'est pas terminé", soupire-t-il en rebroussant chemin.
Le Royaume-Uni, l'eldorado des migrants
Les mains tendues face aux flammes, Ahmed, originaire du Soudan, se réchauffe comme il peut dans la rue principale du campement. Le jeune homme de 21 ans, simples sandales en plastique aux pieds, ne s'est pas déplacé jusqu'au hangar pour tenter de monter dans un bus. "Mon oncle vit à Londres. Je suis arrivé il y a deux mois, j'ai beaucoup souffert pour arriver jusqu'ici... Je n'ai pas envie de partir alors que je suis près du but", explique-t-il, fatigué.
A quelques mètres de là, Amos, 20 ans, grelotte sous son bonnet. Lui aussi a fui la guerre au Soudan. Avant l'annonce du démantèlement, il venait régulièrement se détendre et se réchauffer dans les cafés et restaurants improvisés de cette artère du camp. Mais ces derniers jours, à l'approche du démantèlement, ces lieux de vie ont laissé place à une atmosphère lugubre, renforcée par l'arrivée imminente des bulldozers qui seront chargés de raser la "jungle".
Comme son ami Ahmed, Amos rêve encore de traverser la Manche, malgré un paquet de tentatives malheureuses derrière lui. Mais la rumeur d'une opération de police de grande ampleur dans les prochains jours ne l'encourage pas vraiment à rester dans les parages.
Je ne vais pas me battre pour rester ici. Je vais aller ailleurs et attendre que ça se calme, pour retenter ma chance en Angleterre.
Du côté de Médecins du monde, la destruction de la "jungle" de Calais fait d'ailleurs craindre l'émergence de petits campements disséminés un peu partout dans les environs. Yannick Le Bihan, directeur des opérations de l'association en France, redoute l'arrivée de "camps spontanés, plus précaires, où les personnes seront plus difficiles d'accès pour l'ensemble des dispositifs sanitaires". Et de s'interroger sur l'arrivée d'une prochaine crise : "Quoi qu'il arrive, on sait que les personnes vont continuer d'arriver pour passer en Angleterre. Comment va-t-on faire quand elles vont arriver pendant l'hiver ?"
"Je hais cet endroit mais je n'aime pas la France
non plus"
Le long des grilles qui ceinturent le centre d'accueil provisoire, où doivent être hébergés les quelque 1 300 mineurs isolés du camp, le restaurant pakistanais Khyber Darbar est le dernier à servir des plats de résistance. A l'intérieur, les derniers habitués phosphorent sur leur avenir. Si la plupart ont décidé de partir, d'autres ont mis leur choix en suspension, bloqués par le manque d'alternatives. "Je hais cet endroit, mais je n'aime pas la France non plus. Qu'est-ce que je suis supposé faire ?" interroge un Afghan avec anxiété.
"Le gouvernement met les personnes dans un stress pas possible", dénonce Solène Lecomte, juriste à la Cabane juridique, une association qui aide les exilés à s'informer sur leurs droits.
Ils ont le choix entre laisser tomber leur projet de vie et aller dans un lieu qu'ils ne connaissent pas, sans être assurés de pouvoir y rester. Ou rester ici, à leurs risques et périls...
Posté sur le toit de sa cabane, Mahmoud, 22 ans, Syrien, observe la fumée d'un feu de palettes s'envoler à l'entrée de la lande. Lundi, trois de ses amis sont montés dans des bus, vers des destinations inconnues. Lui a hésité. Beaucoup. Il a finalement décidé de rester. Par peur, surtout, qu'on l'oblige une fois sur place à faire sa demande d'asile en France.
Il sait très bien que son dossier a pourtant toutes les chances d'être accepté par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Mais comme d'autres ici, il veut juste traverser la Manche. "Il y a toute ma famille là bas", explique-t-il laconique, comme lassé de devoir se justifier sans arrêt. Puis lâche d'un trait : "Je préfère retourner en Syrie que de rester en France."
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