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Visite de Volodymyr Zelensky aux Etats-Unis : pourquoi le président ukrainien divise la classe politique américaine

Tandis que le soutien à l'Ukraine s'effrite au sein du parti républicain, tourné vers la prochaine présidentielle, la gestion du conflit par Kiev ne fait pas non plus l'unanimité du côté de l'administration Biden.
Article rédigé par Pierre-Louis Caron
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, en visite à New-York (Etats-Unis), le 19 septembre 2023. (ANGELA WEISS / AFP)

Après la tribune des Nations unies, les salons de la Maison Blanche. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, en visite aux Etats-Unis, est attendu jeudi 21 septembre pour une rencontre à Washington avec Joe Biden, son homologue américain. Le président démocrate, fervent soutien de Kiev, a réaffirmé ses positions lors d'un discours prononcé mardi face aux pays de l'ONU : "Seule la Russie barre la route à la paix, car le prix à payer pour la paix [selon Moscou], c'est la capitulation de l'Ukraine et [la cession de] son territoire".

Malgré cette apparente unité, l'amitié entre les deux chefs d'Etat a aussi traversé des zones de turbulences. Ces derniers mois, les médias américains ont rapporté l'agacement du gouvernement Biden, concernant le ton du président Zelensky ainsi que ses demandes pressantes d'armes et de moyens. Alors que le Congrès américain se penche sur un nouveau paquet d'aides à l'Ukraine, chiffré à 24 milliards de dollars, ce dossier reste particulièrement clivant au sein du Parti républicain, de moins en moins enclins à soutenir Kiev.

Un allié parfois encombrant

Face à la Russie, qui a d'abord annexé la Crimée en 2014 avant d'envahir le reste de l'Ukraine huit ans plus tard, Volodymyr Zelensky a toujours voulu s'assurer du soutien de Washington. En septembre 2021, lors de sa toute première rencontre avec Joe Biden, le président ukrainien avait obtenu des déclarations positives, mais pas d'engagement ferme concernant un appui pour intégrer l'Otan.

Proactif, le président Zelensky s'est illustré en réclamant des armes toujours plus perfectionnées, créant parfois l'inconfort chez ses alliés occidentaux. Sur la question des chars d'assaut d'abord, qui ont finalement été fournis à Kiev. Des chars Abrams sont d'ailleurs en route vers l'Ukraine, comme l'a annoncé la défense américaine. Par crainte d'escalade, les Etats-Unis ont aussi mis près d'un an à accepter que des avions de combat F-16, de conception américaine, soient transférés à l'armée ukrainienne via plusieurs pays européens.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, lors de sa première rencontre avec son homologue américain, Joe Biden, à Washington (Etats-Unis), le 1er septembre 2021. (DOUG MILLS / GETTY IMAGES / AFP)

Malgré les demandes incessantes de Kiev et de parlementaires américains, le président Biden hésite toujours à envoyer des missiles longue portée de type ATACMS, capables de frapper loin derrière la frontière russe. "D'une manière générale, nous ne soutenons pas les attaques à l'intérieur de la Russie. Nous nous sommes attachés à fournir à l'Ukraine l'équipement et la formation dont elle a besoin pour retrouver la souveraineté sur son territoire", a prudemment répété la Maison Blanche en mai, puis en juillet. Elle réagissait notamment aux attaques de drones survenues en Russie ces derniers mois, même si l'Ukraine ne les a jamais revendiquées.

L'opinion américaine très partagée

Pour le gouvernement américain, c'est l'attitude même de Volodymyr Zelensky qui pose parfois question. Comme en juillet, lorsque le chef d'Etat a dénoncé dans un tweet incendiaire les "conditions" imposées à l'Ukraine pour une intégration au sein de l'Otan. "L'incertitude, c'est une faiblesse", avait-il tancé en conclusion de son message, resté en travers de la gorge du commandement militaire américain, comme l'a rapporté le Washington Post.

Malgré ces soubresauts, Joe Biden et le camp démocrate restent dans la droite ligne du "soutien inébranlable" que le président américain avait promis après sa visite surprise à Kiev, le 21 février dernier. La mobilisation en faveur de l'Ukraine n'est toutefois pas si évidente aux Etats-Unis, où 56% de la population dit par exemple avoir confiance en Volodymyr Zelensky, selon une enquête du Pew Research Center publiée en juillet.

En décembre 2022, après sa seconde visite aux Etats-Unis, le leader ukrainien avait, semble-t-il, réussi son opération séduction auprès du public américain. Mais les mois ont passé, et le sentiment positif envers une poursuite de l'aide à l'Ukraine s'est érodé, selon plusieurs sondages nationaux. En août, une enquête réalisée pour CNN mettait en lumière une situation inédite : 55% des Américains interrogés estimaient que le Congrès devait arrêter de voter de nouveaux paquets d'aide, alors que le pays a déjà promis plus de 73 milliards de dollars à son allié, selon le Kiel Institute.

Les républicains tournés vers la présidentielle

Sur l'échiquier politique américain, c'est du côté des républicains que les appels à arrêter les frais concernant l'Ukraine sont les plus nombreux. Plus de la moitié des sympathisants (56%) du Grand Old Party souhaitent que les Etats-Unis "en fassent moins" dans ce conflit (contre 15% des électeurs démocrates), selon un sondage YouGov pour la chaîne CBS News. Mais, là aussi, les cadres et élus du GOP se déchirent alors que la campagne pour désigner le prochain candidat à l'élection présidentielle de 2024 a commencé. 

L'ancien vice-président américain, Mike Pence, et le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, lors du premier débat des primaires républicaines à Milwaukee (Etats-Unis), le 23 août 2023. (KAMIL KRZACZYNSKI / AFP)

Donné favori dans les sondages pour cette primaire (autour de 55% d'intentions de vote en moyenne au 20 septembre) et réputé proche du régime de Poutine, l'ancien président Donald Trump s'oppose systématiquement à l'envoi d'armes et de fonds à l'Ukraine. A la place, celui qui s'estime capable de "régler le confit en 24 heures" veut convaincre Volodymyr Zelensky de signer un accord avec la Russie, ce que le président ukrainien a pourtant juré ne pas faire. Il est rejoint sur cette ligne par le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis, deuxième dans les sondages, qui juge, lui, que l'Ukraine "ne fait pas partie des intérêts majeurs des Etats-Unis", comme le rapportait RFI mi-mars.

De quoi profondément décevoir une partie des adhérents du parti conservateur, qui comptent tout de même peser dans les débats internes ainsi qu'au Congrès. Mi-août, une campagne des "Républicains pour l'Ukraine", dotée d'un budget de 2 millions de dollars, a été lancée pour convaincre notamment les élus du parti de voter en faveur de nouvelles aides pour Kiev. Dans un classement interactif publié lundi, le mouvement a souligné que sur 222 élus républicains de la Chambre des représentants, 60 ont publiquement tenu des propos jugés "anti-Ukraine".

Après la visite de Volodymyr Zelensky, les regards resteront tournés vers Washington, où le Congrès doit se prononcer sur le nouveau volet de l'aide fournie à Kiev. Ce vote crucial doit intervenir au plus tard le 30 septembre, date butoir pour boucler le budget fédéral américain.

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