: Témoignages "L'Ukraine est notre âme. On ne vit pas sans son âme" : trois réfugiées racontent leur retour au pays malgré la guerre
Retrouver des proches, revoir sa maison, aider à l'effort de guerre… Pour ces réfugiées en France ou en Allemagne, l'appel du pays est plus fort que la peur.
"Je veux rentrer, même si j'ai peur." Malgré la guerre et les bombes russes qui pleuvent sur l'est de l'Ukraine, Yana Komleva, réfugiée en Allemagne, a décidé de regagner Kiev, avec sa fille de 15 ans. Partie après le début de l'invasion russe en février, elle compte traverser la Pologne, retrouver son fils et son mari à la frontière, puis rejoindre leur maison.
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Cette employée d'une entreprise française de parfumerie avait quitté la capitale pour sa maison secondaire près de Boutcha dès les premiers jours du conflit. Mais le 27 mars, l'armée de Moscou entre dans son village et des bombes tombent près de la maison. Au fil des jours, l'eau et l'électricité sont coupées. Un seul portable, celui de sa fille, capte internet de façon intermittente. Décision est prise de quitter la ville, désormais en territoire ennemi. Le 8 mars, neuf personnes "et notre chien" s'entassent dans une voiture pour rejoindre une colonne de véhicules de civils qui tentent de quitter l'Ukraine.
La route est longue et périlleuse, des saboteurs sont présents dans le cortège et une autorisation des forces russes est nécessaire pour quitter le territoire. "Pendant tout ce temps, on voyait des maisons détruites au bord des routes, des cadavres et des animaux morts, c'était horrible, confie-t-elle. J'ai demandé à ma fille de ne pas regarder dehors, elle était trop jeune." La famille finit par arriver en Moldavie. Le mari de Yana et son fils, adulte, restent pour aider l'armée. L'Ukrainienne a des connaissances en Allemagne : elle arrive en Bavière le 18 mars, où elle et sa fille sont hébergées par "une grande famille".
Rentrer malgré "la peur"
L'arrivée dans un pays en paix est un soulagement. "Tout s'est très bien passé en Allemagne, les gens étaient très gentils, je suis très reconnaissante", explique Yana. Cinq mois plus tard, elle veut quand même partir. "On ne peut pas dire que je suis heureuse, mes proches me manquent", explique-t-elle début août, alors qu'elle prépare son départ.
"Je n'ai pas le choix, je dois rentrer retrouver ma famille et mon pays. J'ai peur, même très peur, mais je dois y être, pour retrouver mon mari."
Yana Komlevaà franceinfo
De son côté, Darya Bessonova, esthéticienne, a déjà fait le voyage retour. Originaire de Dnipro, dans l'est du pays, elle avait rejoint Le Mans avec son garçon de 5 ans. "On a choisi la France après être arrivé en Pologne car mon père, chauffeur de poids lourd, avait bien aimé le pays", précise-t-elle. Très bien accueillie, malgré des aléas administratifs, Darya peine pourtant à s'acclimater. Surtout, son fils est malade tout le temps. "Il enchaînait les otites, les laryngites… et comme il n'était pas inscrit à l'aide médicale à cause d'une erreur, je ne pouvais pas le soigner. Il a même été refusé à l'hôpital", raconte-t-elle. "Mon garçon pleurait tous les jours parce que son père lui manquait", poursuit celle qui a finalement quitté la France le 15 juin.
"Les Ukrainiens disent que l'Ukraine est notre âme. On ne peut pas vivre sans son âme. C'est pour ça que je suis repartie", poursuit-elle. Arrivée à Lviv (Ukraine), près de la frontière polonaise, elle a été rejointe par son mari, venu chercher sa famille en voiture. Tous les trois ont retrouvé leur maison intacte, "une chance, alors que je connais des gens de Marioupol qui n'ont plus rien". "J'étais si heureuse, c'était comme dans un rêve", se remémore l'Ukrainienne.
"J'ai retrouvé les odeurs de fleurs et d'arbres, très puissantes, qui m'avaient tant manqué en France, je me sentais calme et remplie de joie."
Darya Bessonovaà franceinfo
Elena a été rappelée en Ukraine par un puissant besoin de servir son pays. Le 6 mars dernier, réveillée par "d'horribles bruits de roquettes à 4h30 du matin", cette habitante de Kiev décide de quitter l'Ukraine avec son fils de 13 ans. Sa mère et son mari, qui travaillent avec l'armée, restent. Arrivée à Paris quelques jours plus tard, elle se met très rapidement à aider d'autres réfugiés, avec l'association Aide civils ukrainiens, et organise l'envoi de denrées en Ukraine.
Rentrer pour "gagner la guerre"
"Je suis restée deux mois en France, les gens y étaient très gentils, mais j'appelais ma famille cinq fois par jour pour savoir si tout allait bien", relate-t-elle. Elle est surtout convaincue qu'elle serait plus utile sur place pour "gagner la guerre". "Je ne pouvais plus rester ici et mon fils voulait rentrer pour étudier à Kiev, alors nous avons décidé de partir", explique Elena. Arrivée le 26 mai en voiture à Lviv, Elena se souvient d'avoir "été si heureuse de retrouver ma patrie que j'aurais pu pleurer". La route en voiture vers Kiev la replonge dans la réalité de la guerre, mais n'entame pas sa détermination.
"C'était horrible, j'ai vu de nombreux bâtiments détruits, mais je n'avais pas peur, je savais que j'avais eu raison de rentrer."
Elenaà franceinfo
Dans la capitale ukrainienne, Elena continue de s'activer pour aider son pays. Elle a notamment produit des tee-shirts aux couleurs de la France et de l'Ukraine, floqués de deux cœurs et dessinés par ses voisines. Une façon de remercier celles et ceux qui l'ont aidée.
Rentrer pour "recommencer à vivre"
Malgré la joie des retrouvailles, il faut désormais apprendre à vivre dans un pays en guerre. "Là, je vous parle, mais dans cinq minutes des bombes pourraient tomber sur ma maison. On doit vivre au jour le jour", souffle Darya, qui se dit prête à quitter une nouvelle fois son domicile si les troupes russes se rapprochent trop. Elena, elle, ne cherche pas à "planifier des choses au-delà d'un mois" : "Il est impossible de savoir ce qu'il va se passer, c'est pour ça que nous devons stopper Poutine."
Doutent-elles de leur décision ? "L'autre jour, on a entendu des missiles tomber sur la rive droite de la ville, ça a fait trembler les murs tellement ils étaient proches, raconte Darya. Mais je ne regrette pas d'être ici, je suis chez moi avec mon enfant et mon mari. J'ai recommencé à vivre, alors que ma vie s'était arrêtée en France." Un point de vue partagé par Elena.
"C'est horrible de vivre dans un pays en guerre, mais je suis à la maison, où je peux aider. Je n'ai pas peur de la guerre parce que nous ne pouvons gagner que sans avoir peur."
Elenaà franceinfo
Une fois la guerre terminée, "si elle se termine", les trois femmes espèrent pouvoir retourner en touristes dans les pays qui les ont accueillies. "Ma fille s'est fait des amis allemands et elle aimerait repartir étudier dans le pays", raconte Yana. Darya aimerait revenir en France "pour profiter". Et "inviter les Français chez nous, car notre pays est beau et a tant à offrir".
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