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Témoignages Guerre en Ukraine : "Même les plus courageux n’osaient plus", les confidences des rescapés d'Azovstal à Marioupol

Toutes les femmes et enfants ont été officiellement évacués de la zone, alors que les combats continuent sur le site de cette aciérie, dernière poche de résistance de l’armée ukrainienne à Marioupol. Les rescapés témoignent d'un quotidien dans la peur.

Article rédigé par franceinfo - Mathilde Dehimi et Eric Audra, édité par Xavier Allain
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Les civils, réfugiés au coeur de l'aciérie Azovstal, à Marioupol, avec des combattants, ont été évacués début mai, avec l'aide de l'ONU.  (DIMITAR DILKOFF / AFP)

Natacha est sortie de l’enfer avec un surnom : "Dans notre abri, il y avait un enfant de 4 ans qui n’arrivait pas à retenir mon prénom, ce surnom m’est resté et même les adultes m’appelait Madame Soupe !". Ils étaient une quarantaine à se cacher au sous-sol de l'immense complexe de l’aciérie Azovstal, au coeur des combats entre la dernière poche de résistance de l’armée ukrainienne à Marioupol et les forces russes. 

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Natacha, aujourd'hui réfugiée à 200 km de là, dans un hôtel de Zaporijjia, raconte ce quotidien, cachés dans la peur et la faim. Dans ce sous-sol d'usine, elle a ouvert les placards des vestiaires, trouvé des vêtements, de l’eau et des rations déshydratées pour améliorer l’ordinaire : "J’essayais d’inventer une recette à chaque repas, car les enfants n’aiment pas manger la même chose… Je prenais du sarrasin, du bœuf en gelée, j’ajoutais un peu de farine, du bicarbonate et ca faisait des boulettes !"

Natacha, alias "Madame Soupe", est restée plusieurs jours cachée dans les sous-sols de l'ancienne usine Azovstal de Marioupol. (ÉRIC AUDRA / FRANCEINFO)

"Ils donnent leur vie pour nous"

Les recettes de Natacha n’ont pas empêché Yelena de maigrir. Elle montre son pull désormais trop grand et raconte cette vie à la lueur d’une petite ampoule : "On est toujours angoissés, mais on commence à se détendre. Au début, la situation là-bas était encore tolérable, mais ces dernières semaines c’était vraiment très dur. Personne n’osait plus monter dans les vestiaires, même les plus courageux. Tout le monde attendait d’être sauvé, comme les militaires ukrainiens nous l’avaient promis."

Souvent Yegor, son mari, forgeron d’Azovstal, est sorti chercher de l’eau dans le fracas des bombes. Il en reste traumatisé : "On entendait beaucoup de sons différents, les Russes ont essayé toute sorte d’armes sur nous, en commençant par les bruits habituels de mortiers jusqu’aux bombes larguées par avion, les missiles des navires et les bombes avec des parachutes… Ca faisait 'Tzz boum'".

"Vous n’aurez jamais assez de doigts pour compter tout ce qui nous est tombé dessus"

Yegor, un salarié d'Azovstal

à franceinfo

Ils ont laissé derrière eux une centaine d’hommes et plus de mille soldats auxquels pensent Natacha, en chuchotant, "Je garde espoir, ils doivent tous survivre, on doit faire tout ce qu’on peut car ils donnent leur vie pour nous...

Après plusieurs jours de vie à la lueur d’une petite ampoule en plein coeur d'Azovstal, des enfants ont laissé quelques dessins à Natacha pour la remercier d'avoir fait la cuisine. (ÉRIC AUDRA / FRANCEINFO)

>> Guerre en Ukraine : les psychothérapeutes des rescapés d'Azovstal décrivent des personnes "traumatisées", "mutiques" et "en détresse"

Elle ne veut pas en dire plus, par peur des représailles : elle a encore des proches à l’intérieur. D’après les autorités ukrainiennes, il resterait plus d’un millier de soldats dont des centaines de blessés à l’intérieur. Une centaine de civils, des hommes seraient également toujours prisonniers des combats. 

Les témoignages des rescapés d'Azovstal : le reportage de Mathilde Dehimi et Eric Audra

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