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Quatre questions sur la suspension de la livraison des navires Mistral à la Russie

La France a décidé de ne pas livrer en temps et en heure le premier porte-hélicoptère Mistral à la Russie. Francetv info passe au crible ce changement d'attitude de Paris dans ce dossier sensible.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le "Vladivostok", l'un des deux navire de guerre Mistral commandés par la Russie à la France, photographié ici en mars 2014 à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). (FRANK PERRY / AFP)

Entre 2011 et 2014, la commande de deux navires Mistral par la Russie est passée du statut de "contrat de l'année" à celui de "boulet diplomatique" pour la France. Mercredi 3 septembre, l'Elysée a fini par annoncer la suspension de la livraison du premier des deux navires de guerre à Moscou, en pointant du doigt "les actions menées par la Russie" en Ukraine. Francetv info revient sur les questions qui se posent après la remise en cause de ce contrat stratégique.

En quoi consiste ce contrat ?

C'est un contrat historique. Après trois ans de négociation, le 17 juin 2011, la France et la Russie signent un accord final pour la construction de deux navires Mistral pour un montant de 1,2 milliard de dollars. Les deux porte-hélicoptères doivent être en partie construits en Russie et achevé à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Il s'agit du plus important contrat jamais signé entre un pays membre de l'Otan et Moscou. Il a pour objectif de permettre à la Russie, à terme, "d'apprendre à construire de tels navires", détaille le blog Secret Défense, sur le site de L'Opinion.

Le premier navire, baptisé le Vladivostok, devait être livré en octobre. Le second, le Sébastopol, doit être livré fin 2015. Depuis juin dernier, 400 marins russes se forment à la manœuvre d'un Mistral dans le port de Saint-Nazaire. Ils apprivoisent ce porte-hélicoptère qui représentait, jusque-là, un futur atout majeur pour la marine russe, qui compte profiter de cette technologie de pointe pour se moderniser, comme l'explique Le Monde.

400 marins russes à Saint-Nazaire venus disposer des navires de guerre Mistral (CLAUDE SEMPERE - FRANCE 2 )

Pourquoi la France suspend-elle cette commande ?

Pour des raisons diplomatiques. Trois ans après avoir sabré le champagne, la France a donc décidé de suspendre cette commande. Dans son communiqué, l'Elysée estime que "les conditions ne sont pas réunies" pour honorer ce contrat, en référence au conflit ukrainien dans lequel la Russie est soupçonnée d'être impliquée : "Les actions menées récemment par la Russie dans l'est de l'Ukraine contreviennent aux fondements de la sécurité en Europe" explique la présidence française. Et la perspective d'un cessez-le-feu née quelques heures plus tôt n'est pas suffisante pour convaincre Paris.

Il s'agit surtout d'une concession diplomatique faite par la France aux pays occidentaux, notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne, qui critiquent ouvertement ce contrat, et ce depuis longtemps. Leur inquiétude de voir Moscou bénéficier d'une technologie de pointe en matière de combats navals s'est encore accrue début 2014, à mesure que le conflit ukrainien se durcissait.

Alors que François Hollande avait maintenu le contrat (signé sous la présidence Sarkozy) contre vents et marées en mai dernier, il a donc finalement changé d'avis. La proximité du sommet de l'Otan, qui se tient jeudi et vendredi à Newport (Pays de Galles, Royaume-Uni), où la réponse à ce que les alliés qualifient d'intervention directe de la Russie en Ukraine sera au centre des discussions, a visiblement incité le président français à changer d'avis.

D'ailleurs, quelques minutes après la suspension du contrat, un haut responsable de l'Otan s'est félicité de la "bonne décision" prise par la France. Il a souligné que la Russie avait agi de telle manière que cette décision était devenue inévitable. De son côté, Washington évoque "une sage décision".

Est-ce définitif ?

Non, le contrat est seulement suspendu. Selon des sources diplomatiques françaises, la livraison est suspendue "jusqu'en novembre""La décision a été prise en début de semaine. Le contrat est suspendu jusqu'en novembre. C'est à cette date que l'on verra s'il y a des conséquences financières", a précisé cette source à l'AFP, ajoutant : "cela pourrait nous coûter 1 milliard d'euros".

Quelles sont les conséquences possibles ?

Elles sont potentiellement lourdes. En matière financière d'abord, si le contrat était définitivement annulé, la France devrait rembourser la Russie à hauteur de 1,2 milliard. Sans compter les probables pénalités, voire les amendes auxquelles les autorités françaises seraient soumises.

En matière d'emplois ensuite. Faire un trait sur les Mistral serait catastrophique pour les chantiers navals STX de Saint-Nazaire, où la commande d'un "ferry écologique" passée en janvier dernier par Brittany Ferries vient d'être "suspendue", faute de financements, selon les syndicats. Ces derniers, qui oscillent entre "stupéfaction et scandale", craignent d'ailleurs de voir "des centaines d'emplois" disparaître en cas d'annulation de la commande russe.

En terme de diplomatie, cette décision va tendre les relations avec la Russie. Moscou, à travers la voix du vice-ministre russe de la Défense, Youri Borisov, a d'ailleurs estimé que "le refus à ce contrat ne sera pas une tragédie pour nous en matière de plan de réarmement", ajoutant que "cela apporte certaines tensions dans les relations avec nos collègues français".

Enfin, les conséquences pourraient aller au-delà d'une dégradation des relations franco-russes. Ainsi, l'opposition, à l'image du député UMP Thierry Mariani, souligne que d'autres contrats, comme celui pour la livraison éventuelle d'avions de chasse Rafale à l'Inde, seraient menacés si l'on donnait le signal que la France ne tient pas sa parole.

L'ancien candidat du Front de gauche à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, est du même avis. Sur son blog, il dénonce une "trahison insupportable qui dévalorise totalement la parole de notre pays et raye la France comme fournisseur indépendant de matériel de défense".

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