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La France peut-elle suspendre la vente des navires Mistral à la Russie ?

Laurent Fabius a évoqué cette piste, dans l'éventualité où une nouvelle série de sanctions, plus dures, devait être prise au niveau européen. Mais cette décision pourrait être très coûteuse pour la France.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le "Vladivostok", commandé par la Russie, aux chantiers navals de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), le 5 mars 2014.  (FRANK PERRY / AFP)

La France "pourra envisager" d'annuler la vente de navires militaires français Mistral à la Russie, "si Poutine continue ce qu'il fait" en Ukraine. Comprendre : après la désapprobation et les sanctions, les occidentaux devront-ils passer à la vitesse supérieure pour empêcher le président russe d'accroître son influence à l'est de l'Europe, après une vraisemblable annexion de la Crimée ? Invité de TF1 lundi 17 mars, Laurent Fabius a émis cette possibilité. 

L'ancien ministre UMP Bruno Le Maire a demandé mardi au Quai d'Orsay de porter cette menace à exécution et de suspendre la livraison des deux frégates de guerre commandées par Moscou à Paris, au nom de "la cohérence en matière de politique étrangère". "C'est la seule manière de montrer que réellement, nous sommes déterminés", a-t-il argumenté au micro de BFMTV et RMC.

Qu'est-ce que c'est que ce contrat qui unit la France et la Russie ? 

C'est LE contrat. Le 17 juin 2011, la France et la Russie ont signé un accord final pour la construction de deux navires Mistral pour un montant de 1,2 milliard de dollars. Il s'agit du plus important contrat jamais signé entre un pays membre de l'Otan et Moscou. Il a pour objectif de permettre à la Russie, à terme, "d'apprendre à construire de tels navires", détaille le blog Secret Défense, sur le site de L'Opinion. 

La construction du premier de ces deux monstres marins, nommé le Vladivostok, a eu lieu en partie sur des chantiers russes. Cependant, la fabrication de l'arrière ainsi que l'assemblage du navire se sont déroulés à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) par STX France pour la société DCNS. 

Depuis le début des années 2010, la France (ainsi que l'Allemagne et d'autres pays européens) ont noué d'étroites et lucratives relations avec la Russie, profitant d'une part, de l'augmentation du budget alloué par Moscou à la Défense, et d'autre part de la solidité de ses entreprises dans ce domaine. Ainsi, Thales a signé en 2012 un contrat avec le russe Rosoboronexport pour équiper les chars russes de caméras thermiques.

Où en est cette collaboration ? 

Elle est quasiment arrivée à son terme, du moins pour le Vladivostok, dont la livraison est prévue en octobre 2014, poursuit le blog Secret Défense. D'ailleurs, si Laurent Fabius et le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ne se rendront pas à Moscou, 400 militaires russes sont attendus fin mai, début juin à Saint-Nazaire pour faire connaissance avec l'engin. Les premiers essais ont d'ailleurs eu lieu le 6 mars, en pleine crise ukrainienne. Quant au deuxième navire, le Sébastopol (en référence au port de Crimée où trempe la flotte russe), il est toujours en construction en Loire-Atlantique. 

L'Amiral Viktor Chirkov, à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), à l'occasion d'une sortie du "Vladivostock", assemblé sur les chantiers navals STX, le 15 octobre 2013. (FRANK PERRY / AFP)

Si ces deux BPC (pour Bâtiment de projection et de commandement) ne sont pas livrés à la Russie, cela va s'en dire que Moscou n'envisagera donc pas de poursuivre le partenariat entre les deux pays quant à la construction de deux autres navires, initialement prévue. 

C'est un chantier important pour la France ?

En 2011, la signature du contrat avec la Russie a permis aux chantiers STX de Saint-Nazaire de sortir la tête de l'eau après de graves difficultés et l'annonce d'un plan de départs volontaires en 2009. L'Élysée l'avait promis : ces deux chantiers représentent 5 millions d'heures de travail et donc de quoi fournir un emploi à 1 000 personnes pendant quatre ans. Du coup, le sujet est sensible à Saint-Nazaire : "Ce qui est envisagé, c'est la suspension de ces contrats", a déclaré mardi sur Europe 1 Laurent Fabius, interrogé sur l'inquiétude des salariés des chantiers navals.

"D'un coté, on comprend bien que nous ne pouvons pas envisager de livrer en permanence des armements compte tenu de ce comportement ; de l'autre il y a la réalité de l'emploi et de l'économie", a concédé le ministre.

La France peut-elle se priver d'un tel partenariat ? 

Si une décision d'une telle importance est prise, ce serait dans le cadre de nouvelles sanctions décidées à l'échelle européenne. Pour Laurent Fabius, elle s'inscrirait dans un troisième niveau de sanctions qui n'a pas encoré été déclenché. "Cela ne peut être envisagé que dans le cadre de sanctions générales, cela ne peut pas être uniquement la France", a-t-il rappelé.

Dans ce cas, l'Allemagne, mais aussi la Grande-Bretagne, dont l'économie repose en partie sur ses bonnes relations avec Moscou sur la place financière de la City, ainsi que les pays de l'Est, embarrassés sur la question du gaz, devraient aussi prendre des mesures risquées pour leurs économies. 

Est-ce suffisant pour faire pression sur la Russie ? 

Il faut se mettre à la place de Vladimir Poutine, note Tomas Jermalavicius, chercheur à l'International Centre for Defence Studies (ICDS), dans une tribune pour le site EUobserver (en anglais) datée du 11 mars. Si les pays "vendeurs" estiment pouvoir utiliser cette position comme un levier pour agir sur Vladimir Poutine, "sa logique est différente", note le chercheur : "Si la guerre en Géorgie [en 2009] n'a pas mis un frein aux transferts de technologie [entre les Occidentaux et la Russie], pourquoi occuper une partie de l'Ukraine le ferait ?", demande le chercheur. "Il semble penser que la coopération militaire est trop précieuse pour Berlin et Paris pour qu'il puisse prendre des mesures dures. Et il se peut qu'il ait raison."

Pour l'UMP Bruno Le Maire, "Vladimir Poutine (...) joue sur la division, les hésitations, les intérêts commerciaux des Européens", a-t-il rappelé mardi. "Si on veut faire revenir Vladimir Poutine à la table de négociations, nous devons faire montre d'une fermeté qui a manqué à l'Union européenne et qui a manqué à la France." Le président russe a, en attendant, imposé sa façon à lui de négocier.

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