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Pourquoi Bernard-Henri Lévy est sur tous les fronts (médiatiques) dès qu'il y a un conflit

Après un déplacement à Kiev, Bernard-Henri Lévy multiplie les interventions sur la crise qui secoue l'Ukraine. Une omniprésence qui rappelle son activisme lors de la guerre en Libye.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Bernard Henri-Lévy pose dans son bureau à Paris, en mai 2013. (DUCLOS / SIPA)

Armé de son uniforme – sa chemise blanche soigneusement déboutonnée –, Bernard-Henri Lévy ne quitte plus les terrains de conflit. Après l'ex-Yougoslavie (et notamment la Bosnie-Herzégovine) dans les années 1990, puis plus récemment l’Afghanistan ou la Libye, le philosophe se rend désormais au chevet de l’Ukraine, en proie à une violente crise politique depuis plusieurs mois.

Dans une tribune publiée dans Le Monde, l'intellectuel appelle, mercredi 19 février, les athlètes français à quitter les Jeux olympiques ou, au moins, à boycotter la cérémonie de clôture pour condamner l’attitude de la Russie dans ce dossier. Depuis son déplacement à Kiev, quelques jours plus tôt, il multiplie les interventions dans les médias : Canal+, France Inter, RTL, Europe 1…

Francetv info vous explique pourquoi BHL est partout dès qu'un conflit armé éclate.

Parce que BHL est "son propre média"

Il apparaît ponctuellement dans la presse ou à la télévision. Mais pour Bernard-Henri Lévy, pas besoin de compter sur ces invitations : il a déjà ses tribunes régulières. Une revue, La Règle du Jeu, qui traite de "littérature, philosophie, politique, arts" et sort trois fois par an. Un "bloc-notes" hebdomadaire dans Le Point, où il livre sa vision de la France et du monde. Un site internet, où il recense ses différentes apparitions. Et un blog, où il développe ses points de vue.

"Il est son propre média", constate Christophe Barbier, directeur de la rédaction de L’Express. "Lorsqu'il se déplace, comme en Ukraine, il se débrouille pour que ça soit filmé, pour que ça soit enregistré. Parce qu'il en tirera peut-être un livre par la suite, peut-être un film." Ses précédents voyages ont en effet été l'occasion pour BHL de produire plusieurs de ses œuvres.

De la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995), il a fait un livre, Le Lys et la cendre. Du conflit en Afghanistan, il a tiré un rapport pour le président et le Premier ministre "sur la contribution de la France à la reconstruction" du pays. Et la révolution en Libye lui a permis de sortir non seulement un ouvrage, La Guerre sans l'aimer, mais aussi un film, Le serment de Tobrouk.

Rodé à l'exercice médiatique, le philosophe apporte un soin particulier à son image. "'Bernard' veut tout contrôler de 'BHL' : de son image d'étalon baroque et engagé, peut-on lire dans un portrait dressé par Libération en 2000. Il appelle, écrit, rappelle, retouche 'off', remarque 'on', suggère, confie, séduit." Et quand le résultat ne lui plaît pas, il n'hésite pas à le faire savoir, glisse François Clémenceau, rédacteur en chef du service international du Journal du Dimanche. "Quand j’ai fait un papier assez critique sur son livre American Vertigo, j’en ai entendu parler pendant des heures", raconte-t-il à francetv info. Jamais directement cependant : BHL a fait savoir son mécontentement par des intermédiaires.

Parce qu’il a ses réseaux

Le philosophe connaît du monde. Beaucoup de monde. A tel point qu'il a été surnommé "le pape de Saint-Germain-des-Près" par les journalistes Jade Lindgaard et Xavier de La Porte dans leur livre Le Nouveau B.a.-ba du BHL. Pour illustrer l'entregent de l'intellectuel, les auteurs évoquent une de ses fêtes, organisée en 2010, pour l'anniversaire de sa revue La Règle du Jeu. A la soirée s'affichent des représentants de nombreux médias nationaux : Le Nouvel Obs, Marianne, Le Figaro, Radio France, Europe 1... MêmeLe Canard Enchaîné est de la fête, notent les journalistes. Membre du conseil de surveillance du Monde, après avoir officié dans celui de Libération, Bernard-Henri Lévycultive ses relations avec la presse.

"Ça lui arrive de contacter directement les médias, par le biais des interlocuteurs privilégiés qu’il a au sein des rédactions", explique le journaliste François Clémenceau. "Il m'a déjà passé des coups de fil, par exemple, au moment du conflit libyen, confirme Christophe Barbier, de L'Express. Le magazine était sur sa ligne [en faveur d’une intervention] et j’ai reçu très souvent des appels de sa part, pas pour parler de lui, mais plutôt du off, pour me donner des informations."

D’autres assurent n’avoir jamais été sollicités par le philosophe. Comme de nombreux autres médias, RTL a diffusé mercredi une interview de Bernard-Henri Lévy sur la question ukrainienne. "Mais on ne l’a jamais interviewé à sa demande", assure à francetv info Isabelle Dath, chef du service étranger de la station. "Il ne l’a jamais fait avec moi", confie François Jougneau, rédacteur en chef adjoint du "Grand Journal" de Canal+, qui a programmé mardi soir un duplex téléphonique avec le philosophe. "Je suis dans cette émission depuis dix ans, cela fait des années que je le sollicite pour venir décrypter l’actualité. Jamais il ne m’a appelé pour demander une invitation."

Parce qu’il a des choses à dire

Il faut le reconnaître, Bernard-Henri Lévy est un "bon client" pour les médias. "Il a toujours une opinion tranchée", explique Isabelle Dath. Sur l’Ukraine, le philosophe n’y va pas par quatre chemins, en réclamant le retrait de la France des JO& de Sotchi, pour protester contre l’attitude de Moscou dans ce dossier. Sur RTL, par exemple, BHL compare le président russe Vladimir Poutine à "un boucher". "Forcément on parle de lui parce qu’il veut qu’on quitte les Jeux, justifie Isabelle Dath. C’est un point de vue comme un autre."

"Certes, il simplifie parfois à outrance", reconnaît Christophe Barbier. Mais difficile d’être complexe dans un "engagement romantique" comme celui de BHL. Et puis sinon, "personne n’écoute", justifie le journaliste. Au-delà de la forme, "Bernard-Henri Lévy a des convictions philosophiques très profondes, c’est incontestable", juge-t-il. Et "il bouge les lignes, il fait de la politique avec d’autres moyens". Dans l’épisode libyen, le philosophe a été "un relais indispensable entre les rebelles de Benghazi et Nicolas Sarkozy", justifie Christophe Barbier. Des actions qui légitiment, argue-t-il, les prises de parole de l'intellectuel.

"Il est un observateur de la situation internationale", affirme pour sa part Patrick Cohen à francetv info. Le présentateur de la matinale de France Inter a interviewé BHL mercredi sur l’Ukraine. Et il ne comprend pas les procès en légitimité faits au philosophe. Il s'agit, selon lui, d'une forme de "sectarisme". "Il se donne la peine de se déplacer sur place, il rapporte des points de vue", explique le journaliste. "Il a vu ce qu’il se passait en Ukraine, il ne me semble pas déplacé de lui demander ce qu’il en pense", abonde François Jougneau. Ni journaliste, ni géopoliticien, BHL est parvenu à imposer sa propre figure : celle de l'intellectuel globe-trotter.

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