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Novaïa Gazeta suspend sa parution : "Il n’existe plus de journalistes indépendants depuis hier" en Russie, regrette un journaliste réfugié en France

Dernier média indépendant encore actif en Russie, Novaïa Gazeta a suspendu sa parution lundi.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Le président russe, Vladimir Poutine, a signé au début du mois de mars une loi prévoyant jusqu'à quinze ans de prison pour toute personne publiant des "informations mensongères" sur la guerre en Ukraine.  (ALEXEI DRUZHININ / SPUTNIK)

"Plus de 200 journalistes indépendants qui ont quitté la Russie continuent de travailler" après avoir créé "leurs chaînes sur YouTube ou sur Telegram", a indiqué mardi 29 mars Denis Kataev, journaliste vedette russe de la chaîne de télévision indépendante Dojd qui a fermé ses portes juste avant l’entrée en vigueur de la loi qui restreint le travail des journalistes.

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Denis Kataev est aujourd’hui en résidence à la rédaction internationale de Radio France à Paris. Le dernier média indépendant encore actif en Russie, Novaïa Gazeta, a suspendu sa parution lundi. "Il n’existe plus de journalistes indépendants depuis hier, c’est une journée historique", regrette-t-il.

franceinfo : À quel moment, il n’était plus possible pour vous de faire votre travail ?

Denis Kataev : C’est devenu évident immédiatement après que cette loi a été adoptée, la loi contre les fausses informations sur la guerre parce qu’il était impossible de dire que c’était une guerre. Cette loi est devenue quelque chose qui ciblait les journalistes indépendants. Ils n’ont pas leur place. Il était temps de partir. C’était un signal qui nous était envoyé.

Cette loi punit de 15 ans de prison au maximum la diffusion d'une information qui risquerait de discréditer l'armée ou le pouvoir. Ça veut dire très concrètement que vous aviez peur, le matin, d'aller travailler ?

Oui. Sous cette loi, aucun journalisme n’est possible. Novaïa Gazeta a décidé de continuer de travailler. Dmitri Mouratov, rédacteur en chef et détenteur du prix Nobel, espérait pouvoir continuer et aller jusqu'au bout. Déjà, en termes de respect de cette loi. Ils n’ont pas publié d’informations sur la guerre. Ils ont évité ce thème pour éviter les condamnations visant les journalistes. Toutefois leurs envoyés spéciaux travaillaient à Odessa, Marioupol et d’autres villes de l’Ukraine. Malheureusement, ils ont reçu un deuxième avertissement. La chose importante ici c’est que cette loi ne concernait pas la prévention des fausses informations. Mais juste l'absence de mention d’un agent de l'étranger.

Comment s’exerce la censure en Russie ?

La censure s’est établie au cours des 20 ans de Poutine comme un effet boule de neige. Chaque année, il y avait de nouvelles lois. Après l’annexion de Crimée, cela a pris un caractère irréversible. Il y avait de nouvelles lois qui étaient votées et nous devions faire preuve d’ingéniosité pour trouver des formules pour détourner ces nouvelles lois. Pour la loi sur les agents étrangers quand nous mentionnons Alexeï Navalny, nous devions à chaque fois rajouter qu’il s’agissait d’une organisation extrémiste interdite en Russie. Notre émission, c'était juste un ensemble de mots que nous devions prononcer pour respecter la loi pour pouvoir continuer à diffuser.

Que savent les Russes de ce qui se passe en Ukraine ?

Il n’existe plus de journalistes indépendants depuis hier. C’est une journée historique depuis 30 ans d’histoire des médias russes. La dernière rédaction indépendante était Novaïa Gazeta, et Dojd était parmi l'un des derniers médias indépendants. Mais plus de 200 journalistes indépendants qui ont quitté la Russie continuent de travailler de manière plus dispersée. Ils ont créé leurs chaînes sur YouTube ou sur Telegram. Les spectateurs en Russie peuvent continuer à les regarder en utilisant un VPN pour accéder à des ressources qui sont bloquées. Ce public existe. Pendant la guerre, lorsque nous avions nos émissions, lorsque Dojd était encore en ligne pendant les premiers jours de la guerre, avant notre interdiction, on était regardés sur YouTube par 25 millions de personnes par jour. Il y avait une très grande audience. Je suis sûr qu’il y avait des Ukrainiens parmi eux. On ne peut pas descendre dans la rue pour s'exprimer, pour exprimer son opposition. Ce public ne peut rien dire, mais ce public existe et je le sais.

Savez-vous si vous pouvez retourner en Russie ?

Je pense que ce jour viendra uniquement lorsque le régime de Poutine s’écroulera. Je ne reviendrai pas dans la Russie de Poutine parce que c'est dangereux pour moi en tant que journaliste, mais aussi parce que je ne peux pas rester dans le pays d'un agresseur qui ne respecte pas les droits de ses citoyens et tue.

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